Brusquement, il se dégagea en roulant sur le côté; Il se releva d'un geste. Puis s'approcha de l'entrée de la grotte et laissa le vent glacial calmer ses ardeurs, son regard perdu sur un paysage qu'il ne voyait pas. Il avait suffisamment connu de femmes pour savoir que ce qu'il venait de vivre était unique. Un simple baiser n'était pas sensé lui retourner les sens. Tandis qu'il passait une main tremblante dans ses cheveux pour les discipliner et tenter d'apaiser son esprit en ébullition, il entendit le pas léger de Garance s'approcher de lui. Il pria qu'elle reste à une distance raisonnable sinon il n'était pas sûr de maîtriser sa réaction. Alors qu'elle atteignit sa hauteur il lâcha un : " Bien dormi ? " d'un air faussement désinvolte qui ne dupa ni l'un, ni l'autre. Elle ne répondit pas, obligeant Eliam à poser son regard sur elle. Ses grands yeux de cendres parcouraient le versant enneigé avec fascination.

- Ne me dites pas que vous n'avez jamais vu de neige, lui demanda-t-il, incrédule.

- Si...c'est féerique, répondit la jeune femme d'une voix émerveillée, ne quittant pas le paysage des yeux.

Elle n'avait jamais vu une telle beauté, la nature semblait s'être recouverte d'un manteau de pureté. Issue d'un pays où le faste était de rigueur, issue d'une cour ou l'apparente richesse était la première des vertus, elle n'aurait jamais pensé que le dénuement total provoquerait cette émotion.

Soudain, Garance figea son regard dans celui d'Eliam, elle ne dit rien et pourtant ses yeux posaient une multitude de questions, pour lesquelles le jeune homme n'avait pas de réponse. Pour la première fois de sa vie, il détourna les yeux et fit demi-tour. Que pouvait-il lui dire ? Lui non plus ne savait pas comment tout cela était arrivé. Tout ce qu'il savait c'était qu'il était submergé par une somme de sensations et de sentiments ingérables.

- Nous devons nous mettre en route rapidement, je veux avoir atteint le col de Narmade avant le coucher de soleil et la neige va fortement nous ralentir. Il ne nous reste plus qu'une journée de vivres, il nous faut atteindre la vallée avant deux jours. Je pourrais chasser au besoin, mais cela nous fera perdre du temps et plus nous restons dans les montagnes plus nous risquons d'être pris dans une tempête et de nous perdre.

Eliam avait l'étrange sensation de déblatérer pour combler un vide, pour ne pas en venir à l'essentiel. Mais il devait se concentrer sur sa mission car les deux prochains jours seraient les plus difficiles de la traversée. Ils se mirent donc en route, le cheval chargé de leurs maigres bagages, Eliam et Garance à pied. La jeune femme compris vite que les quinze centimètres de neige les ralentiraient bien plus que le froid. Ils marchèrent en silence, ne s'autorisèrent que de courtes pauses. Au coucher de soleil, ils atteignirent le fortin du col. Eliam avait espéré y trouver un refuge mais il avait été complètement brûlé. Il établit le campement au pied du monticule et fit un feu. Il n'avait pas le choix car en plein air, s'ils ne succombaient pas aux bêtes sauvages, ils mourraient de froid. Ils se nourrirent des derniers morceaux de viandes séchées et de pain rassis. Il aida Garance à s'enrouler dans les fourrures pour se protéger du froid et se prépara à une longue nuit. Trop de dangers les guettaient pour qu'il puisse dormir, et de toute façon, malgré la fatigue il serait incapable de trouver le sommeil.

Il laissa alors ses pensées s'égarer à leur guise, bercé par la respiration calme de Garance. Elle s'était endormie sitôt la dernière bouchée avalée, rompue de fatigue. Il avait bandé ses mains dans le cheich pour les protéger du froid. Habituée au climat chaud Elenith, elle souffrait terriblement du vent glacial. Ses fines mains étaient percluses de crevasses. Cependant, elle ne cessait de l'étonner par sa résistance et son abnégation. Elle était son otage, elle aurait pu les ralentir, mener une vie impossible à Eliam. Mais, non, elle marchait, du mieux qu'elle pouvait sans une plainte. Certes il y avait l'arrogance, la fierté qu'il s'attendait à trouver chez une petite princesse choyée, mais elle était loin de la personne superficielle, capricieuse, perverse, et manipulatrice qu'on lui avait dépeinte. A moins qu'elle ne cache son jeu. Non, c'était impossible, elle ne pouvait feindre les frissons qu'il lui avait arrachés lors de leur baiser. Il y avait en elle, force et fragilité. Force et fragilité d'une enfant qui avait grandi trop vite, trop seule, sans amour, cernée par les complots et l'adversité. A y regarder de plus près, elle n'avait rien d'une princesse choyée et gâtée. Il n'y avait eu qu'une cage dorée dans sa vie.

Eliam aurait voulu cesser de penser à cette femme, il voulait penser à la mer, à ses camarades, au "Mandragore". Mais chaque parcelle de son corps attirait son esprit vers Garance d'Elenith, comme attiré par le chant obsédant d'une sirène.

Le jeune homme vit l'aube poindre avec soulagement. Il réveilla la jeune femme, en remarquant que de lourdes cernes marquaient son visage d'albâtre. Elle se leva en silence, l'aidant à rassembler leurs affaires, il lui fit boire un peu d'eau chaude, n'ayant rien d'autre à lui proposer. Il sella le cheval, fit mourir les cendres du feu. Puis ils se mirent tous deux en route. La journée fut pire que la précédente. Sur le versant menant à Saillans, le vent du Nord ne leur épargnait rien. Le sentier était si raide qu'il ne pouvait hisser Garance sur l'étalon qui peinait pour ne pas se casser une patte dans le sentier enneigé et caillouteux. A l'aide d'un long bâton, Eliam sondait le chemin, pour éviter toute crevasse et surtout ne pas s'éloigner de la route. A la mi-journée l'atmosphère devint tellement brumeuse qu'il ne voyait plus à deux pas. Le jeune homme savait qu'il devait rester alerte s'il ne voulait pas les perdre. En fin de journée, il retint à deux reprises la jeune femme qui trébuchait sous la fatigue alors que le sentier les menait en bord de falaise. Il lui prit la main, mais elle ne releva même pas la tête, enfouie sous les fourrures, grelottante.

A la nuit tombée, il établit le camp à quelques mètres du sentier. Malgré le danger il ne pouvait pas plus s'écarter au risque de les perdre. Il rassembla tout le bois qu'il avait à portée de main et fit un grand feu. Garance était assise, blottie près du cheval, la tête basse, sa longue chevelure devant les yeux. Eliam, s'accroupit à ses cotés, il écarta quelques mèches et les grands yeux gris, fatigués se figèrent dans les siens, lui faisant manquer un battement de coeur.

- J'avais espéré que nous atteignions le refuge de la vallée ce soir...mais nous y parviendrons demain...Je te le promets Garance, murmura Eliam d'une voix brisée par l'épuisement. Perclu de fatigue, il ne s'était même pas aperçu qu'il l'avait tutoyée.

- Embrasse-moi, chuchota la jeune femme.

Eliam crut avoir mal entendu, mais elle répéta dans un souffle :

- Embrasse-moi Eliam.

- Tu ne sais pas ce que tu dis... murmura-t-il alors qu'il savourait d'entendre ses lèvres prononcer son prénom.

- S'il te plaît...

Devant la supplique et même s'il ne devait pas, le jeune prince s'approcha et pris avec une tendresse incommensurable les lèvres gercées de Garance entre les siennes.

La jeune femme se laissa aller contre la puissance de son compagnon. Elle était à bout de force, elle savait qu'elle ne survivrait pas à une journée de plus. Elle avait fait de son mieux mais cette ascension serait la dernière épreuve que la vie lui infligerait. Si elle devait mourir de froid et d'épuisement autant que ce soit dans les bras de celui qui réveillait tant d'émotions en elle. Depuis qu'elle s'était réveillée à ses côtés elle avait la sensation qu'un feu couvait sous son enveloppe de chair glacée. Depuis le premier jour, chaque contact fortuit ou volontaire avec lui l'avait brûlée jusqu'à l'âme, elle en avait désormais désespérément besoin, elle voulait se nourrir de cette incandescence. Au bout d'un long moment, sous le joug des baisers tendres d'Eliam, elle sentit son corps et son esprit sombrer dans un doux abandon.

Eliam ne cessa d'embrasser Garance que lorsqu'il fut certain qu'elle dormait. A quelques dizaines de centimètres, le feu crépitait, éclairant l'écrasante pénombre. En faisant le moins de gestes possibles, il jeta quelques bouts de bois dans le brasier. Il glissa sa dague sous sa tête, gardant une main dessus. Il devait se préparer à toute éventualité même s'il devait dormir quelques heures. Il resserra Garance contre lui et se laissa aller au sommeil.

Les Royaumes d'Eredjan 1 - La Princesse de CendreWhere stories live. Discover now