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La nuit de l'équinoxe approche à grands pas et nous hâtons depuis quelques jours nos préparatifs pour être sûrs d'être prêts le moment venu.

Je suis assise sur un tabouret devant la porte de la cabane, une chemise d'homme étendue sur les genoux. Blanche de nature, elle a carrément viré au noir tant la crasse s'est incrustée dans le tissu.

Nous n'avons pas le moindre gramme de savon à disposition sur la Feather et cela nous manque terriblement. Je tente d'arranger le carnage depuis une bonne vingtaine de minutes mais je sens que je ne vais pas tenir encore longtemps avant de la balancer par-dessus bord.

Je peste et frotte une dernière fois de toutes mes forces avec ma brosse. Rien à faire. En désespoir de cause, je l'envoie valdinguer sur le sol de la Feather et frappe le sol avec ma chaise en me tortillant comme une possédée.

Je n'en peux plus de cette vie. J'en ai marre de devoir toujours faire de tels efforts, juste pour laver un vêtement ou préparer une soupe, j'en ai marre de vivre dans cette saleté et cette impression d'impureté perpétuelle, j'en ai marre de ne pas pouvoir marcher plus de dix pas sans rencontrer une étendue d'eau infranchissable !

Pourquoi est-ce que je ne suis pas morte pendant le naufrage ? Tout aurait été tellement plus simple... Non, je n'ai pas le droit de dire ça ! J'ai eu une chance incroyable de survivre et je ne peux pas me permettre d'envier les pauvres gens qui ont succombé ! Ni gâcher la possibilité d'avenir que j'ai encore devant moi.

Je me calme et reprend mon souffle en repoussant les nouvelles pensées qui essayent de s'insinuer dans mon esprit.

Soudain, je sens une présence qui m'observe, comme l'autre jour, quand nous avons reçu la visite de la tortue. Je me fige sur mon siège et tend l'oreille.

J'ai la certitude que ce n'est ni Hélio, ni Moran qui se trouve derrière moi, l'un étant trop bien élevé pour faire ce genre de choses et l'autre trop peu discret pour rester silencieux si longtemps.

Un bruissement aussi minime que le bruit des feuilles dans le vent me fait tourner la tête sur la droite. C'est alors que je la vois. Translucide, tremblotante, elle semble hésiter entre ce monde et celui d'où elle vient.

Toujours aussi belle qu'autrefois, peut-être plus. Ses cheveux fantomatiques flottent autour d'elle avec une légèreté totalement irréelle. Elle porte la même robe que la dernière fois que je l'ai vue. Et elle me regarde.

Je n'arrive pas à me détacher de ses magnifiques yeux d'un bleu très pâle, à travers lequel je peux voir le mur de la cabane. Je ne réalise même pas que je viens de lâcher ma brosse qui tombe par terre dans un bruit mate.

Elle me sourit timidement, mais je suis incapable de lui rendre la pareille : mon corps ne semble plus relié à ma volonté.

Quand je retrouve enfin le contrôle, je prononce son nom, Célia. D'abord tout doucement, comme une question, puis de plus en plus fort. Elle acquiesce.

Je n'ose toujours pas y croire. De toutes façons, ce serait stupide. Ça ne peut pas être ma sœur. Déjà parce qu'elle est morte depuis bientôt quatre mois, et ensuite parce que les fantômes n'existent pas, pas plus que les spectres ou les revenants. C'est tout simplement impossible et inimaginable qu'elle soit revenue ainsi d'entre les morts.

Elle n'est qu'une invention de mon esprit malmené. Oui, c'est cela, je suis en train de l'imaginer ! Je me sens presque rassurée.

Pourtant, j'ai beau me répéter cela comme un mantra, quand elle fait signe de venir la rejoindre, je me lève et, tremblante de tous mes membres, je fais un pas vers elle. Arrivée à sa hauteur, je tends la main pour la toucher. Je suis surprise de ne rien ressentir de spécial, pas même le froid caractéristique des histoires pour enfants.

.・✭ Les Oubliés de l'OcéanWhere stories live. Discover now