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Sur mon île, chaque prénom a une signification particulière qui, paraît-il, aura un rôle à jouer dans notre vie. Celui de mon père, par exemple se traduit par « couronné de gloire ». Comme il est le chef de notre village, il est logique pour tout le monde que cela soit synonyme d'un règne puissant et juste. Le mien, Mila, voudrait pour sa part vraisemblablement dire « aimée du peuple ». Quelle ironie ; je n'ai pas un seul ami ici et, quoi qu'en dise ma sœur, je ne pense pas que cela puisse venir à s'arranger un jour.

»»--⍟--««

Assise sur le petit tabouret à trois pieds de la salle de bain, je regarde dans le miroir ma mère qui s'active. Excédée, elle tente en vain de démêler ma tignasse de cheveux châtains-roux. Je serre les dents à chaque nouveau coup de brosse mais je ne dis rien car je sais que c'est de ma faute si je dois subir ce supplice. A vrai dire, je viens de passer la journée à courir dans la forêt ou sur la plage, sans aucune retenue alors que j'étais sensée être en classe.

Mes parents se plaignent souvent que je ne suis qu'une petite sauvageonne qui n'arrivera jamais à rien dans la vie mais je sais qu'en vérité, ils ne voudraient pour rien au monde que je change, quel que soit le domaine.

La brosse à cheveux se prend soudain dans un nœud plus gros que les autres et je ne peux retenir le grognement plaintif qui s'échappe de ma gorge. Un éclat de rire retentit derrière nous et je lance un regard noir à ma sœur.

Debout dans l'encadrement de la porte, Célia attend son tour pour se faire coiffer depuis plus de vingt minutes et commence sérieusement à s'impatienter. Pour tuer le temps, elle s'amuse à faire des grimaces dans le dos de ma mère. Célia est très jolie. Plus que moi, en tous cas. Elle a de longs cheveux foncés qui lui tombent en cascade sur les épaules, une peau emmiellée et de magnifiques yeux bleus. Pourtant, elle ne semble pas consciente de sa beauté. Elle prétend qu'elle n'est pas mieux que moi.

« Enfin, ce n'est pas trop tôt, s'exclame ma mère en faisant glisser le dernier nœud de mes cheveux.

A la façon dont elle fronce les sourcils, je préfère ne faire aucun commentaire.

- Je ne comprendrais jamais comment tu fais pour toujours te mettre dans des états pareils jeune fille mais je te préviens, si tu me refais le coup une seule fois, ça va barder ! continue-t-elle, sans remarquer mon air honteux.

- Maman, est-ce que ce serait possible que tu viennes t'occuper de moi ou alors tu vas passer ta vie à pouponner ta petite mendiante de fille ? intervient alors Célia, les bras croisés sur sa poitrine.

- Célia ! Tu changes de ton lorsque tu t'adresses à moi, rugit ma mère. Je ne suis pas ta copine !

- Et heureusement.

- Comment ? Qu'est-ce que tu as dit ?

- J'ai dit que je ne compte pas les vieilles rabat-joie parmi mes amies. »

Elle affiche un sourire mi-figue, mi-raisin qui fait douter ma mère sur son intention de plaisanter et détourne son attention de moi.

Trop contente de pouvoir m'en tirer à si bon compte, je tente discrètement de quitter la pièce avant de recevoir une énième réprimande lorsque ma mère me rattrape par le col :

« Hep, hep, hep, où comptes-tu aller comme ça ? Ce n'est parce qu'il n'y a plus de nœuds que j'en ai fini avec toi ! »

La tête basse, je retourne m'assoir sur le tabouret. Pendant qu'elle fignole ma coiffure, je regarde notre reflet dans la glace. On me dit souvent que je ressemble à ma mère. Même cheveux à la limite entre du châtain et du roux, même peau dorée, même regard profond... Sauf que maintenant, son visage est creusé par les âges alors que le mien reste obstinément trop rond à mon goût.

.・✭ Les Oubliés de l'OcéanWhere stories live. Discover now