Sa boussole

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Aujourd’hui j’ai croisé mon frère. Mon ancien frère. Le seul ami que j’aimais comme ça. Le voir a déchiré mon coeur et des larmes ont perlé aux coins de mes yeux. Je crois bien qu’il m’a regardé, j’ai baissé les yeux, je ne peux plus affronter ce regard qui m’était si réconfortant. Tu sais, mon cher journal, j’ai cru que je pourrais oublier tout ça rapidement. Je me suis dit que ce n’était rien, que je passerais vite au dessus et que tout irait mieux. Mais je me suis plantée misérablement. Il était ma boussole, maintenant je navigue dans le noir complet. 
 
"Chacun son rythme de chagrin" 
 
Elle a perdu le nord.  
Elle a essayé. Oh si vous saviez comme elle a essayé. Elle a essayé de l'oublier de tout son coeur, toute son âme. Mais... rien.... Rien n'y fait.  
Il lui manque, son énergie, ses expressions, ses manies, sa voix. 
Leurs moments lui manquent, leurs fous rires, leurs étincelles de connexion. Elle n'a jamais oublié leurs heures passées à parler de tout et de rien en écoutant de la musique.  
Elle se souvient qu'avant même de lui parler, son coeur voulait déjà faire connaissance. C'était comme s'il sentait déjà ce qu'ils partageraient. 
 
Elle a perdu le sud. 
S'il savait ce qu'elle avait mis dans leur amitié. Elle a toujours été sincère, à aimer de tout son cœur. Celui qui se déchirait à chaque dispute, celui qui brûlait pendant des jours et des jours dès qu'il savait les blessures qu'il avait pu causer, celui qui semblait vide quand son frère s'éloignait.  
Il était un phare pour elle, cette lumière dans le noir, celle qui lui permettait d'oublier, de briller sans se soucier du monde autour.  
Elle lui courait dans les bras sans hésiter. Il était le seul.  
Elle aurait pu reconnaître son parfum entre mille senteurs variées, son écriture entre mille formes courbées, son style d'écriture, sa manière de parler.  
 
Elle a perdu l'est.  
Un détail du nous lui a échappé, une étincelle qu'elle n'a pas saisi. 
C'est cette petite poussière qui les a perdus.  
Elle les imaginait partir valise à la main en vacances, grandir, observer avec affection le chemin de l'autre, fonder leurs vies sans jamais se perdre de vue. Elle les voyait braver tempêtes et ouragans en duo infernal, faire lever le soleil main dans la main, frère et sœur unis.  
Elle avait peut-être idéalisé leur amitié.  
Elle aimait ce qu'ils partageaient, ils avaient surpassé tant de difficultés.  
 
Elle a perdu l'ouest.  
Puis elle a senti que cette flamme s'éteignait, que l'étoile perdait son éclat, creusant un vide qu'elle ne comprenait pas.  
Elle le sentait, elle sentait ce qui se passait.  
Non ! C'était impossible !  
Elle refusait,  
Elle refusait de voir même la possibilité d'une fin. 
C'était impossible ! 
Alors elle s'est accrochée au bord du précipice. Ses mains frêles glissaient sur les parois toujours plus glissantes.  
Il l'observait de là haut fier et droit, ne pouvant rien faire ou ne le voulant pas.  
Elle tombait encore et toujours, peu à peu elle sombrait.  
Elle sentait la fin approcher à pas de loup.  
Bientôt le sonnet se terminerait.  
Bientôt, elle devrait affronter son concerto.  
Bientôt, un mur invisible se dresserait entre eux deux et elle n'était pas prête.  
Non ! Comment arrêter le temps ? Comment retourner en arrière ?  
Une larme coulant sur son visage elle avait abandonné la lutte.  
Elle avait ce regard attendri et perdu lorsqu'elle lâcha la prise, qu'elle laissa l'inévitable s'immiscer.  
 
Elle a perdu le nord, ou le sud, ou l'est, ou l'ouest. Elle est perdue. 
Ils ont arrêté de parler. Il l'évitait, comme s'il ne voulait plus d'elle, qu'il la repoussait. 
Elle pleurait. Son cœur, lourd comme le plomb, la brûlait. Sa cage thoracique bloquée, elle ne pouvait plus articuler un mot en sa présence. 
Elle ne comprenait pas. 
C'était inconcevable ! 
Elle s'est demandée durant des jours et des jours ce qu'elle avait pu faire, quelles erreurs irréparables elle avait pu commettre. Elle s'est demandée comment elle avait pu faire pour qu'il ne la supporte plus, qu'il n'arrive plus à vivre avec elle. Pourquoi ne supportait-il plus qui elle était ?  
Elle se demande encore aujourd'hui.  
Elle ne comprenait pas, c'était inconcevable. 
Ce jour-là, il lui a demandé de lui laisser du temps.  
Ce jour-là elle a compris, c'était fini.  
Alors elle s'est sentie étouffée. Prise d'une pneumonie imaginaire.  
Ses poumons brûlants, elle a craché ses dernières paroles, ses derniers encouragements.  Toutes ces dernières étincelles, ces touches de couleurs, elle les a posées sur le tableau pour partir sans regret.  
Son cœur s'est déchiré lorsqu'elle a tapé hésitante ces derniers messages, la sincérité mêlée à la tristesse gravait des lettres dans le marbre : 
"si un jour tu daignes me reparler... Je serai toujours là... Comme je l'ai toujours dit. Parce que mine de rien, je tiens à toi" 
Les dernières larmes versées lors de leur conversation brouillaient sa vision lorsqu'elle lui souhaita bonne chance.  
Elle appuya sur le bouton envoyer les yeux rouges et bouffis, un sourire rayonnant illuminant son pâle visage.  
Elle l'encourageait une dernière fois avant de s'en aller définitivement de sa vie, avant de disparaître. 
Ce jour-là, elle s'est promise de ne plus jamais pleurer pour lui. 
Ce jour-là, elle s'est promise de l'oublier, de l'effacer de sa mémoire. 
Elle a arrêté d'écrire sur le carnet qu'il lui avait offert.  
Elle a commencé à l'ignorer, il ne devait plus exister.  
Elle devait se débarrasser de l'ombre gluante de leur amitié. 
 
Elle a perdu son chemin.  
Mais un nuage de souvenirs la hantait. 
Mais elle n'y arrivait pas.  
Chaque fois qu'elle se rappelait leurs jours heureux, les larmes venaient bloquer sa cage thoracique. 
Elle baissait la tête dès qu'elle l'apercevait.  
Elle fixait ses pieds, évitait son regard. 
Elle détournait ses yeux de ce visage autrefois signe de réconfort.  
 
Il lui manque terriblement.  
Son soutien, son rire, tout.  
Elle a essayé.  
Elle le voulait, oui, elle voulait l'effacer. 
Elle a tenté de l'oublier, oublier son amour pour lui.  
 
Elle a perdu sa boussole. 
On lui a dit que ce n'était rien, 
Qu'il n'était qu'un con sans coeur.  
Que rien de tout cela ne devrait l'atteindre.  
Qu'en savent-ils ? Ils ne le connaissent pas. Ils ne savent pas le lien qui les liaient.  Elle ne peut les écouter.  
Qu'en savent-ils ?  
Que savent-ceux-là, ces hypocrites qui disent ces mots en goûtant à tous les râteliers ?  
Que savent-ceux-là, ces inconscients qui ne l'ont jamais apprécié ? 
Que savent ces gens là ? Comment des gens extérieurs pourraient comprendre ?  
Pour elle, il n'est pas qu'un con.  
Pour elle, tu n'es pas qu'un con. 
Pour elle, tu es bien plus.  
Vous vous êtes perdus et cela la tue.  
Pourtant, elle te défendra corps et âme quoi qu'il arrive. 
Malgré ces heures passées à pleurer,  
Malgré la douleur qui la brûle,  
Malgré le plomb dans son cœur, 
Malgré les sillons tracés sur ses joues,  
Malgré le sang qui a perlé, 
Malgré tout, elle se battra pour lui.  
Son cœur pousse un soupir un revoyant vos souvenirs, nos souvenirs.  
Mon cœur pleure en voyant les deux inconnus que nous sommes devenus. 
Mon cœur tient encore à toi. 
Mon frère, je t'aimais. 
Mon frère, je t'aime. 
Mon frère, je crois que j'aurais la bêtise de t'aimer encore. 
Tu me manques terriblement. 
J'ai essayé, si vous saviez comme j'ai essayé.  
Mais après tout cela, je ne peux. 
Oui, j'ai perdu ma boussole. 
 
Deux amis riaient aux éclats,  
Une jeune fille erre dans les méandres de l'amitié, Elle s'y est égarée.  
Deux âmes semblaient liées. Une jeune fille seule se noie, Elle a perdu sa boussole. 

Au Fil De La RoseWhere stories live. Discover now