The Grenade

Jour 3

Deux jours ont passé depuis la mort de mon père et je ne suis toujours pas sortie de chez moi. Ne pouvant me résoudre à prendre mon petit déjeuner seule, j'ai demandé à Albert s'il était disposé à manger avec moi et il a accepté « avec grand plaisir », d'après ses mots. Même si nous ne parlons pas beaucoup, sa présence m'apaise et m'évite de me morfondre sur mon sort. De plus, quand mon père était seul, il petit-déjeunait, déjeunait et dînait également avec lui donc je ne fais que poursuivre une sorte de tradition familiale. Aujourd'hui plus que jamais, je me sens proche de lui ... presque à sa place. Ce n'est pas simplement le fait que je me sois assise où il s'asseyait toujours ou que je doive diriger l'entreprise qu'il dirigeait, c'est plutôt parce que maintenant, c'est moi le « chef » de la villa, une femme ... Quelle ironie ! Mon père qui pensait qu'une femme aurait toujours plus de mal à diriger qu'un homme, voilà que je dois prendre sa place ou plutôt, d'après les termes qui conviennent, lui succéder.
Ainsi après avoir mangé en compagnie d'Albert, je décide de me rendre au siège de l'entreprise familiale. Alors que je démarre ma voiture et commence à sortir de ma place de stationnement, je vois une silhouette au loin qui me fait signe d'attendre. Je finis de sortir de ma place et m'arrête le temps que cette personne arrive. Ce n'est autre qu'Anna - Smith, une de mes amies du jardin d'enfant - qui accourt vers moi. Arrivée à ma voiture, ayant baissé ma vitre, elle s'accoude à la portière en respirant rapidement. Ce qui n'est pas étonnant après le sprint fulgurant qu'elle vient de faire.

"Est-ce ... que je ... peux venir ... avec toi ? me demande-t-elle entre deux respirations.
- Bien sûr ! Monte !" l'invite-je en souriant.

Elle s'exécute et me fait rapidement la bise. Après qu'elle ait attaché sa ceinture, j'avance en direction du siège de Bright Corporation.

"Comment vas-tu aujourd'hui ? m'interroge-t-elle vraisemblablement gênée de ne pas me l'avoir demandé plus tôt.
- Ça peut aller ... réponds-je en gardant mon regard sur la route. Enfin, pour une fille qui se retrouve orpheline, ça va plutôt bien.
- J'ai voulu venir hier, tu sais mais je n'ai pas osé ...
- Tu as bien fait ! Je ne ressemblais à rien, hier ! Avant-hier non plus quand on y pense ...
- Où est-ce que tu vas ?
- Au siège de Bright Corporation. Albert m'a dit qu'il fallait que je prenne les choses en main avant que Jeff Anderson ne le fasse. (Après un soupir) En parlant des Anderson, tu savais que Victoire et Nick étaient ensembles ?
- Oui ! Enfin, ça dépend des jours.
- C'est-à-dire ?
- Un jour, c'est l'amour fou et le lendemain, c'est ... différent. Ça va, ça vient. Je ne pense pas qu'il soit faire pour être ensemble, ils sont vraiment différents.
- La différence est une force dans un couple, non ?
- C'est ce qu'on dit mais là ... Leurs opinions divergent sur tant de choses que je ne suis même pas sûre qu'ils soient d'accord sur quoi manger le soir. Mais attend, comment est-ce que tu sais pour eux deux ?
- Je les ai surpris avant-hier ... avant de rentrer chez moi. Je suis allée chez Victoire pour la saluer comme on ne s'était pas vues depuis longtemps et je suis tombée sur Nick qui lui massait les pieds, j'en ai ainsi deviné qu'il était ensemble et tu viens, à l'instant, de me le confirmer.
- Alors avant-hier était un jour avec ! Si jamais on voit Victoire rappelle-moi de lui demander comment ça va avec son copain ! Je te parie tout ce que tu veux qu'il y a eu de l'eau dans le gaz entre ces deux-là, hier.
- Si tu le dis !"

Un moment passe sans que l'une d'entre nous n'émette un seul bruit. Je suis concentré sur la route alors qu'Anna se lime les ongles.

"J'aurais une question ! s'exclame-t-elle en quittant des yeux sa manucure.
- Dis-moi tout ?
- Est-ce que tu as suivi un peu ce que nous faisions ?
- Bien sûr ! La distance ne m'a pas faite oublier mes amies ! J'ai entendu parler de toi de nombreuses fois ... à l'internat. Les autres filles n'arrêtaient pas de parler des dernières créations que tu sortais. Certaines avaient la chance de les avoir et elles ne s'abstenaient pas de les montrer !
- Vraiment ?! Alors j'ai de l'influence même en France ?! C'est fou !
- C'est clair ! Pour Victoire, je croyais que c'était encore une étudiante en langues étrangères jusqu'à ce que je voie le numéro de Superstar qui décrivait Victoire comme le mannequin la plus courtisé du pays. Et pour Lise, c'était mon père qui m'en parlait beaucoup.
- Ça ne m'étonne pas !
- Pourquoi est-ce que tu dis ça ?
- Oh, pour rien ! Ils ont toujours été proches, c'est tout !
- Oui, c'est vrai. Un peu comme ... un père et sa fille ...
- Ouais ... dit-elle gênée avant de changer de sujet. Tu as eu de la visite hier ?
- Oui ...
- Ah bon, qui ?
- Pas vraiment la première personne que je voulais voir en revenant ...
- Ne me dis pas que Brad est venu te voir ?!
- Si ...
- Tu l'as mis dehors, j'espère !
- Je l'ai écouté et ensuite, j'ai prétexté que j'allais me mettre à table pour qu'il parte. Je ne suis vraiment pas prête à lui pardonner. Pas encore.
- Tu m'étonnes ! Il a été un véritable goujat ! J'espère bien qu'il paiera pour ce qu'il t'a fait !
- Non, Anna ! Ne dis pas ça ! Ne lui souhaites pas de malheur, il ne le mérite pas. Il avait certainement ses raisons.
- Après ce qu'il t'a faite ?! Il t'a quand même laissée tomber au pire moment de ta vie ! Ta mère venait juste de mourir et la seule chose qu'il a réussi à te dire, c'est « Désolé, je ne sais pas comment réagir à tout ça. ». C'est un goujat, ni plus ni moins.
- J'essaye de passer à autre chose et je vais te dire que Brad n'est pas ma préoccupation principale à l'heure actuelle. Je vais devoir affronter Jeff Anderson et tout un tas d'investisseurs qui ne pensent qu'à l'argent et à la gloire.
- Tu vas gérer, ne t'inquiète donc pas autant ! Justement on arrive ! Je vais venir avec toi ! Ça me fera sortir. Les seuls bureaux que je vois sont ceux de Smith's et honnêtement, ils sont beaucoup trop uniformes. C'est ennuyeux.
- Si tu veux. Let's go !" [C'est parti]