14 - Les alternatives

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Je ne sais pas comment réagir dans l'immédiat. Je ferme les yeux et savoure la surprise du moment, mais sans vraiment avoir de réaction.

Lorsqu'il s'écarte lentement de moi, je comprend en un regard que lui ne sait pas ce qu'il se trame dans ma tête si je ne montre rien. Alors, je respire profondément et me laisse aller.

Tout en le regardant, je glisse doucement ma main sur sa joue et lui souris timidement. Je m'approche un peu plus de lui, jusqu'à sentir son torse effleurer ma poitrine. Je sens son souffle s'accélérer et ses yeux passent rapidement des miens à mes lèvres.

Je fais la même chose que lui, et observe cette bouche charnue qui m'attire comme une bouée de sauvetage au beau milieu de l'océan. Il a l'air tendu, je le sens crispé sous mes doigts. Je pose ma deuxième main sur son cou et la descend lentement jusqu'au milieu de sa poitrine. Ma paume contre lui séparant le peu de millimètres restant entre nous, je constate à quel point son cœur bat vite. C'en est presque affolant.

Je ne fais pas de pas supplémentaire, et j'attend de voir si lui en fera un. Mes lèvres ne sont plus qu'à quelques très petits centimètres des siennes, mais je ne peux me résoudre à avancer plus. Il y a certaines choses que je ne me pardonne pas, et qui m'empêchent d'aller plus vers lui. Cette peur de lui faire du mal. Encore.

Je ressens chaque seconde qui passe comme si elle durait une éternité, le temps me semble soudain horriblement long. Ashton ne dit rien, ses yeux rivés aux miens semblent pensifs.

~ Brooke, il souffle finalement contre moi, je te pardonne.

Je reste perplexe et ne répond pas. J'ai l'impression que mes pensées me trahissent, qu'il les entend, qu'il me lit comme un livre ouvert. Je baisse la tête et me recule légèrement, je me sens mise à nu. Ce qui, au fond, n'est pas logique. J'aurais du me sentir mise à nu après lui avoir déballé tous mes ressentis, pas après l'avoir entendu répondre à mes pensées silencieuses.

~ Je suis sérieux. Je te pardonne, tout. Et maintenant, si tu le veux autant que moi, j'aimerais qu'on recommence tout ça. Tout ce qu'on a foutu en l'air. J'aimerais qu'on réessaie quelque chose, mais correctement cette fois-ci...

Je souris et relève doucement la tête, remontant mon regard au sien, toujours sans répondre.

Aussitôt nos lèvres se lient, se délient, mais je sais que rien ne sera jamais plus comme avant. Je l'aime. Je le sais, je le ressens dans chaque recoin de mon âme, je l'aime à en mourir, à en crever, à m'en étouffer. Je suis brisée de cet amour qui me ronge chaque jour, mais ma place n'est plus à ses côtés, elle ne le sera jamais plus.

Ses mots me le ramènent en pleine figure comme un poignard en plein cœur. C'est comme se faire ouvrir la jugulaire par une lame. On sait que c'est trop tard, on crèvera quoi qu'il arrive, mais on a quand même le temps d'y penser, on a le temps de s'étouffer. On a le temps de ressentir la douleur du sang qui s'écoule à une vitesse affolante, on a le temps de comprendre que c'est la fin, on a le temps de repenser à ce qu'on a fait, à ce qu'on n'a pas fait, à ce qu'on aurait du faire.

Et c'est l'effet qu'ont ses mots sur moi. Je les perçois comme si on avait transpercé mon âme, et le flot d'émotions est omniprésent, il est étouffant.

Je me sens comblée par la sensation de ses lèvres, mais je sais que quelque chose ne va pas. Je ne peux pas faire ça. Ça fait des mois que je me demande comment je réagirai face à cette situation, ou une de la sorte.

Quels seraient mes ressentis, serai-je capable d'aller de l'avant? De goûter au bonheur que l'on me tend? D'attraper cette main qui ne veut que me tirer hors du gouffre dans lequel je me suis moi-même plongée.

Je le repousse, parce que toutes ces voix à l'intérieur de moi me crient de le faire. Parce qu'elles me crient que c'est impossible, que je ne saurais pas faire ça. Je n'ai pas ma place à ses côtés, je ne l'aurai jamais. Je ne mérite pas ce bonheur, cet amour. Son amour.

Je n'ai jamais rien eu, j'ai toujours été habituée au fait de ne rien n'avoir, et j'en viens à me rendre compte que je n'ai plus envie que ça change. Je ne dois rien à personne, si j'en suis là aujourd'hui, c'est uniquement grâce à moi-même. C'est à cause de mes erreurs, de mes réussites, de mes échecs, de mes faiblesses, de ma force, de mon mental. Toutes ces raisons sont la cause de ma vie actuelle, que cela soit bien ou non.

Je ne veux plus de ça. Je ne peux plus.

Mais je ne sais même pas quel est ce "ça", qui m'est insoutenable.

Je l'aime, c'est un fait. Mais je crois que ce n'est plus suffisant. Ce n'est plus assez. Et même s'il ne m'en veut pas, il y a des choses que je ne me pardonnerai jamais, des choses que je verrai chaque jour dans ses yeux, des choses qui me seront rappelées chaque matin, or je ne veux pas ça. Je ne peux pas. Je ne saurais pas.

Je fui tous ces souvenirs depuis deux ans maintenant, et je ne peux me résoudre à les affronter pour toujours. Peut être est-ce une faiblesse de ma part, peut-être fui-je mes actes, je n'en sais rien. Mais tant pis, ce sont mes choix, c'est ma vie.

Et je le sais, je ne peux pas. Je ne peux plus.

Parce que si j'ai fui, c'est pour que plus rien ne soit comme avant.

Brooke? souffle-t-il, les sourcils froncés.

Un mélange d'incompréhension et de je ne sais quoi d'autre se mélange dans son regard, et je ne peux me résoudre à l'affronter. Je m'en sens plus que responsable.

Je ne sais pas quoi lui dire. Je ne saurais pas juste lui expliquer ce qu'il se passe en moi, c'est trop, c'est impossible.

Les larmes roulent le long de mes joues et je ne sais plus quoi faire.

Je ne sais plus si je dois lui demander de partir, si je dois lui dire de rester.

Je ne sais plus.

Mais je ne peux pas tout abandonner comme ça, si je le fais, il doit au moins savoir pourquoi.

~ Tu veux bien qu'on rentre? je demande simplement.

Il hoche la tête et me suit à l'intérieur. Une fois dans le salon, il s'installe dans le canapé mais cette fois il est beaucoup plus proche de moi.

~ Je ne sais pas trop par où commencer ça. Je pense même que ça ne sert à rien qu'on entre dans les détails une fois de plus, tout a déjà été mis à plat... alors faisons simple, je m'arrête et le fixe quelques secondes. Je n'y arriverai pas Ashton. Ça fait deux ans maintenant, et je m'en veux toujours autant. Je suis incapable de me pardonner ce que j'ai fait, et je ne supporterai pas de devoir y faire face chaque jour, chaque fois que ton regard croisera le mien.

Je me sens ridicule de dire ça tout haut, et j'espère qu'il va comprendre sans argumenter, parce que je n'aurai pas la force de débattre là dessus dans l'immédiat.

~ Je comprend, répond il simplement.

Je le regarde, surprise, et observe sa mine crispée.

~ Je n'ai pas envie de juste mettre une barrière, ici, maintenant, tout de suite. Alors que dirais-tu de ça: on pourrait simplement se fréquenter, de temps en temps, seuls ou avec d'autres personnes, sans ambiguïté, et au fil du temps tu verras bien si tu y arrives ou pas. Si tu n'y arrives pas, on n'ira pas plus loin, mais si tu sens que ça s'apaise, ça pourrait donner quelque chose.

J'acquiesce en le regardant et réfléchis. Il n'a pas tort, il a même plutôt raison. Peut être qu'à force de se voir, ça passera. Peut-être que si on arrive à se construire une vraie relation, tout ira mieux. Et au point où on en est, qu'a-t-on à perdre à essayer?

~ Essayons, mais correctement cette fois.

AgainWhere stories live. Discover now