Chapitre 8 - A light that never comes

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Le découragement me gagne, si intense que je me laisse tomber à genoux. Cela ne se terminera donc jamais ?
Blue se précipite vers moi, je n'ai pas le coeur à la repousser. Je n'ai plus la force de quoi que ce soit.
Et j'ai tué quelqu'un.
Putain de karma.

— Regardez !

Je me retourne. Un immense embouteillage bloque la route que nous venons de rattraper. À première vue, plus personne n'occupe les voitures, mais je me rends vite compte qu'autre chose cloche. Certaines d'entre elles... flottent dans les airs, comme grignotées par le brouillard.
Illusion d'optique, me dicte mon cerveau.
Je dois me rattacher à quelque chose de logique, de rationnel. Je vais perdre la boule, sinon.

— Déconne pas, Blue, putain !

Je pivote la tête à temps pour la voir s'avancer vers un cabriolet victime de ce curieux phénomène. Elle adresse un signe impatient à Joana, tourne sa pelle de façon à ce que le manche atteigne la voiture la plus proche.
Je regarde le bout de bois se promener dans le brouillard sans comprendre ce qui se passe. Quand Blue rabat l'outil vers elle, il a été amputé d'un bon tiers.
J'ignore la série d'insultes que se met à proférer Joana, hypnotisé.

— Ramène-toi par ici !

L'autre jeune femme obéit, sans lâcher son arme de fortune. C'est dingue comme tout coule sur elle, on dirait que rien ne l'impressionne ou ne l'effraie. Elle a dû traverser un bon nombre d'épreuves pour rester aussi imperméable aux événements.
Je commence à fatiguer et change de position.
Mon ventre me lance, la douleur m'assaille par vagues. Pas la force de me lever pour l'instant. Je pense que les autres l'ont compris, elles me laissent tranquille.
Je vois Joana s'approcher d'une voiture encore intacte, regarder à l'intérieur et tirer sur la poignée. Sans scrupule, elle donne un grand coup de crosse. La vitre explose, lui permet d'ouvrir la portière. Elle a de la force, je n'ose imaginer ce que ça serait avec deux bras valides...
Je me demande comment elle va démarrer sans clé et vu ce que j'entends, elle se pose la même question. Il en faudrait plus pour qu'elle abandonne. Voilà qu'elle remonte la file et fait signe à Blue afin que cette dernière fasse de même.
Pourquoi ne s'interrogent-elles pas davantage ?
Elles agissent, me répond-elle. Allez, tu touches au but.
Je me tords le cou, persuadé de l'avoir vue à travers une vitre.
Personne, évidemment.
La neige sur laquelle je suis assis permet à ma température de redescendre, mais je crève encore de chaud. Qu'est-ce qui m'arrive ?
Pris d'un courage soudain, j'ouvre mon manteau pour observer ma blessure. La chemise est tachée de sang. Pas terrible, cette crème cicatrisante, on dirait.
Mon bras retombe, je ris nerveusement.
Tu es trop con, Harvey.
Tais-toi.
Je me concentre sur ma respiration pour oublier ton visage. Pas le choix, pas maintenant.
Tu as dû apprendre mon arrestation, depuis le temps.
Qu'as-tu bien pu penser ? Qui as-tu cru ? Je doute que les médias se soient montrés tendres avec moi, trop heureux de ce nouveau bouc émissaire.
À ta place, je me sentirais trahi, sali. C'est notre nom que j'ai éclaboussé de honte.
Te voilà seule, maintenant. Si tu savais comme je suis désolé.
Si tu savais à quel point tu me manques, ma Bérénice.

*

Quelqu'un me secoue.

— Hé ! Là ! Debout !

À moitié dans le coma, je me force à lever la tête vers Joana. J'ai dû perdre connaissance quelques minutes. Je ne crois pas que la brume qui envahit mon champ de vision soit liée au mauvais temps.

— Merde ! Blue !

J'entends cette dernière courir vers moi, la vois s'accroupir et examiner mon abdomen. Elle ne peut que constater son impuissance, hélas. À ce stade, c'est d'un hôpital dont j'ai besoin. Problème : on ignore où se situe l'établissement le plus proche. Je ne sais même pas si j'aurais le temps de l'atteindre.

— Harvey ?

Mon attention se reporte sur Bérénice. Elle a changé, ses traits sont moins doux, plus anguleux.
Tu délires, bonhomme.

— Blue a trouvé une voiture, m'explique Joana en récupérant son propre visage. On va tenter de retrouver les gens de tout à l'heure. La batterie déconne et la panne sèche nous guette, mais au moins, on ne se tapera pas le trajet à pied.
— Tu l'as dit.

Est-ce ma voix, que je viens d'entendre ? Ce truc surgissant d'outre-tombe ?
J'ai chaud et froid en même temps. Elle remonte la fermeture éclair de mon manteau et me serre le bras.

— Accroche-toi, mon vieux.

J'acquiesce vaguement. Elle confie le fusil à Blue et s'éloigne. Cette dernière se rapproche, je me sers de son épaule pour poser ma tête. Ses clavicules glacées s'enfoncent dans mes tempes, elle ne sent pas très bon.
Je dois perdre de nouveau conscience car quand j'émerge, les filles tentent de me caler à l'arrière d'un SUV. Le moteur a des ratés, les sièges en cuir puent le tabac et je suis bien trop lourd pour elles. Elles finissent tout de même par y arriver.
Joana s'installe au volant pendant que Blue s'assoit avec moi. Je pose ma tête sur ses genoux pointus, ferme de nouveau les yeux.

— Eh, reste avec nous, hein !

Je lève faiblement le pouce, esquisse un sourire.

— T'inquiète pas, Harvey est un dur à cuire.

L'absurdité de ma phrase me fait rire.

— Putain, grogne Joana. J'espère que la route ne sera pas trop longue.

Malgré son silence, je suis persuadé que Blue lui répond « Moi aussi ».

Sous la CendreDonde viven las historias. Descúbrelo ahora