Chapitre 3 - Out of Ashes

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Ma mère disait toujours que lorsqu'on se trouve dans une impasse, c'est pour une raison bien précise. Cette situation ne devait cependant pas faire partie de son éventail des possibilités.
J'ai eu beau appeler, regarder partout, je dois me rendre à l'évidence : la voiture reste vide. Aucun corps, aucune trace de pas sur le sol meuble ne trahissent la présence d'un conducteur. Je ne comprends pas, je n'ai pourtant pas rêvé, j'ai vu l'accident se produire.
Si je frissonne cette fois, ce n'est pas à cause du froid. Peut-être que ce n'est qu'un piège, que c'est un véhicule tueur, comme dans ce vieux roman de Stephen King...
Pff, n'importe quoi.
Un sursaut de conscience me fait monter dans l'habitacle.
Je trouverai sûrement des papiers dans la boîte à gants, peut-être le nom du propriétaire sur une vignette d'assurance...
Voyons... Une carte routière — QUI utilise encore ce genre de trucs de nos jours ? —, un paquet de cookies périmés depuis hier, une petite bouteille d'eau, un tas de bordel... Bref, rien de bien profitable. Je prends les biscuits au cas où. Après tout, ils ne manqueront à personne.
Bon, je ne vais pas passer dix ans ici.

Le ronronnement d'un moteur me parvient aux oreilles. Je scrute le tableau de bord, pourtant éteint... Qu'est-ce que... ?
Quand je comprends, je me jette hors du véhicule.
Je ne me suis pas trompée, c'est ma propre voiture qui a démarré. Et je commence sérieusement à flipper.

— Hé  ! Qui est là  ? Si c'est une blague, ce n'est franchement pas drôle  !

Je sais, au fond, que ce n'en est pas une. En témoigne cette ambiance bizarre, tout autour de moi, depuis mon départ de Fargo. Les talons de mes bottines claquent sur le bitume quand je traverse dans l'autre sens. Leur son me paraît disproportionné dans ce silence.
Au diable tous ces abrutis  ! Je m'installe au volant et referme la portière derrière moi. Vérifier la banquette arrière, verrouiller.
Mon inconscience m'agace. Qui sait ce qui rôde, avec ce brouillard  ?
Au moins, j'ai gagné un paquet de gâteaux.
J'ignore le rire nerveux qui me monte à la gorge et actionne les essuie-glaces avant de me réinsérer sur la route, pied au plancher.
Tout va bien.
Je deviens juste complètement folle.

         Deux miles plus tard, je parviens à me détendre. Certes, on y voit toujours comme à travers une pelle sur cette satanée route, mais l'atmosphère se révèle un peu plus respirable. Difficile de rattraper mon retard maintenant... Allez, on se reprend.
Mon pied écrase l'accélérateur pendant que je m'enfonce davantage dans mon siège.
La panique dissipée, je parviens à rationaliser de nouveau. Va savoir ce que ce temps pourri provoque dans les circuits des voitures autonomes comme la Ford Fusion ou la mienne. Les gens ne peuvent pas disparaître en quelques secondes, sans laisser de traces.
Je m'efforce de garder ma jambe gauche immobile et de décrisper mes épaules. L'isolement me joue des tours. Je suis seule, dans un pays inconnu, à poursuivre un fantôme sous ce blizzard... N'importe qui deviendrait marteau.
Et ce foutu GPS qui ne fonctionne plus ! Je n'ose pas le redémarrer, de peur de perdre ce qu'il reste de carte, sauf que plus j'avance, plus l'écran grésille.
Avec tous ces arbres, pas étonnant qu'il ne capte plus rien.
Tiens bon, petit GPS, tiens bon...
L'image tremble une énième fois. Puis disparaît.
Non non non ce n'est pas le moment !
Je lâche la route des yeux, le temps de regarder ce qui ne va pas avec ce foutu machin. Je n'y vois rien, je dois m'arrêter.
Quand je relève la tête, mon corps entier se glace.
Là ! Juste devant, des phares  !
Et je fonce droit dessus.

*

Je bondis et appuie les deux pieds sur le frein. La voiture hurle, décélère tant bien que mal, dérape. Le temps ralentit.
Impact dans trois...
Je ferme les yeux, attends la collision, les mains crispées sur le volant.
Deux...
Instinctivement, je rentre les épaules, protège ma nuque et ma tête. Mes jambes se relâchent légèrement.
Un...
...
Quoi  ?
Pas de choc  ?
Je me risque à rouvrir une paupière, puis la seconde.
Freinage d'urgence activé, nous contactons les secours. Si vous êtes blessé, veillez à bouger le moins possible.
Mon break a stoppé sa course à quelques centimètres à peine de l'autre véhicule. J'éclate d'un rire trempé de larmes en entendant la voix synthétique. Bénies soient ces voitures  !
Je sors en vitesse, encore morte de trouille, pressée par le besoin de toucher la route, de sentir la neige sur ma peau, de vérifier que je vis toujours. Mes jambes ne me portent plus, je me laisse glisser le long de la tôle avec douceur pour atterrir sur l'asphalte.
J'aspire l'air à pleines goulées, apprécie les gouttelettes du brouillard sur mes joues.
Je tends la main, regarde les flocons s'y accumuler... fronce les sourcils. Une partie de cette neige ne fond pas.
L'euphorie disparaît aussi vite qu'une flamme soufflée par le vent. Je me relève aussitôt, touche les sièges. Aucune trace d'humidité.
OK, là, soit j'ai déjà sombré dans la folie, soit il se passe un truc bizarre.
Je frotte cette autre matière accumulée entre mes doigts. Elle se décompose immédiatement, les colore en gris.
Je comprends alors mon erreur.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, la neige est mêlée de cendres.

Sous la CendreDonde viven las historias. Descúbrelo ahora