Chapitre 22

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Les trois sœurs, presque mortes de fatigue et de froid, firent disparaître Echo d'une voix inaudible. Sous les tempêtes de neige qui martelaient leur corps livide, elles escaladèrent la petite colline jusqu'au petit arbre mais ne purent admirer longtemps l'étendue blanche et vide à cause des flocons aiguisés qui les forçaient à fermer les yeux. Depuis des jours, il ne s'était jamais arrêté de neiger, fermant leurs yeux sur ce qui pouvait être autour.

Elles découvrirent sous l'arbre une mare dont la croûte était très finement gelée. Caly se pencha prudemment au-dessus, comme pour vérifier qu'un passage vers un monde meilleur ne s'y trouvait pas. Mais soudain, elle se fit bousculer violemment et tomba dans l'étreinte de l'eau givrée. Elle brisa la glace frêle dans une énorme giclée et ses souvenirs refirent surface. La marre était profonde, assez pour lui faire perdre pied.

Elle se débâtit. Un instant.

Elle n'avait plus de force, elle était si exténuée qu'elle se laissa stupidement couler. Son corps inactif descendait doucement dans les limbes, ses doigts pointés vers les nuages retenaient à peine son pinceau. L'eau démoniaque entrait doucement, prenant son temps pour la faire souffrir, dans sa bouche, dans ses poumons, dans sa vie.

Elle n'avait plus la force de se rappeler les courants du fleuve. Elle n'avait plus la force d'appeler au secours. Elle n'avait plus la force d'ouvrir les yeux. Elle cracha de l'air qui remonta en infimes bulles à la surface. Mais les bulles si belles et l'eau ne s'accordaient pas.

Une main, sûrement en accord avec elle, brisa les ampoules d'air qui remontaient vaillamment à la surface. L'attrapant au col, elle la remonta avec défaillance. Et avalant et toussant de l'eau, Caly s'étouffa au contact de l'air qui brûlait sa gorge, s'efforçant de s'introduire dans son corps fragile.

Elicia la regardait, terrifiée, tandis que Myra, pinceau en main, affrontait du regard, un immense coyote. La jeune fille était misérable à côté, ses vêtements en lambeaux, ses yeux vides, son cœur fatigué, ses mains tremblantes. La dépassant d'au moins plusieurs têtes, l'immonde bête la regardait sauvagement. Le froid le brûlait. Il ne laisserait pas ces sauvages plus blancs que la neige lui voler sa source d'eau. Il avait soif. Il avait faim.

Ses crocs sortis, un filet de bave coulait. Les petites fentes rouges que constituaient ses yeux s'allumèrent de haine, d'une envie de détruire, de survivre. Ses oreilles étaient retroussées. Sa fourrure revêche blanche était plaquée sur ses os et ses pattes squelettiques essayaient de ne pas trembler. Il avait l'air plus mort que vivant.

Caly, étouffante, murmura qu'ils ne devaient pas se battre, que cela ne servirait à rien. Mais le coyote ne l'écoutait pas. Il ne l'entendait pas. Et il ne la comprenait pas. Seule la faim résonnait en lui.

Evitant agilement Myra, il se précipita sur sa jumelle affaiblie. D'un coup puissant de croc, il ne réussit pas à l'atteindre, percutant son aînée à qui il affligea une plaie colossale à l'épaule. Myra dessina adroitement une immense gerbe de flamme qu'elle abattit sur la bête enragée. Ses poils abîmés s'enflammèrent et du sang gicla sous le choc avant que la bête recule.

Alerté par l'odeur attirante, un second animal, encore plus menaçant, arriva sous les cris des sœurs. Un troisième et un quatrième s'invitèrent, tout aussi féroces. Le niveau semblait, avant même que tout débute, avoir augmenté. Leur physique était encore plus monstrueux, leurs muscles encore plus tendus. Leurs crocs acérés ne prirent le temps de réfléchir et s'enfoncèrent dans le dos de Myra, rouvrant une ancienne blessure. Dans un hurlement strident, son luxueux manteau en hermine se tinta de rouge.

Caly, respirant avec difficulté, sortit son pinceau, et enchaîna l'attaque de sa sœur qui avait blessé le premier coyote. D'un coup de pinceau parfait, elle transforma l'immense bête devant elle en une torche flamboyante. Mais un instant plus tard, elle s'éteignit sans aucune égratignure. Elle n'avait encore jamais vu de mutants mais elle avait lu dans les livres qu'il était impossible d'utiliser deux fois la même attaque sur eux ou sur un de leurs semblables car ils arrivaient à s'y immuniser. Sans se laisser impressionner, elle jeta un coup d'œil à sa sœur qui avait aussi compris.

Elicia regarda rapidement Caly et d'un ensemble parfait, elles déchainèrent la foudre sur un coyote. Blessé à la nuque, il s'effondra. Un autre lui sauta par-dessus, atterrissant sur Caly qu'il renversa sans mal, il commença à lui lacérer l'abdomen de ses griffes aiguisées. Le sang coulait. Ce liquide pire qu'une drogue, l'odeur le rendit fou. S'acharnant avec encore plus de rage sur le corps meurtri de la jeune fille, il ne vit pas le magnifique tigre fondre sur lui. L'imposant félin sortit de nulle part, contrastait somptueusement dans le champ de bataille blanc et rouge par sa fourrure tigrée. Et hurlant d'une rage nouvelle, il étripa le coyote. Ses entrailles quittèrent le corps amaigri du mutant dans un éclat de sang, s'écrasant sur le manteau de la colline qu'il tacha abondamment.

Un autre coyote surgit. Son immense gueule ouverte semblait s'arracher de son cou tant elle tendu vers la tête d'Elicia qui, terrifiée, lui envoya un énorme bloc de pierre dont la taille devait dépasser celle de son père. Haletante, son pinceau dans la main elle regarda l'animal tomber.

Myra le dos sanglant n'arrivait pas à se relever. Des lambeaux de chair pendaient et si elle en jugeait par la flaque de sang qui s'étendait à pied, elle avait perdu beaucoup de sang. Elle se baissa et agita son pinceau, une tornade s'abattit sur une bête qui dégringola la colline. Mais toujours vivante, elle revint à l'assaut avec encore plus d'acharnement. Les griffes sorties, elles s'enfoncèrent dans son mollet. Retenant un cri de douleur, elle roula au sol. Sans pouvoir se relever, elle dessina une lance qu'elle enfonça dans la poitrine de la bête qui la rejoignit au sol. Rassemblant ses dernières forces, elle leva les yeux et vit le dernier coyote encore debout avant de perdre une nouvelle fois connaissance. Plus grand, plus fort, plus puissant, plus résistant, plus noir. Il était moins amaigri que les autres et ses yeux semblaient plus rouge que le sang.

La marque du sangWhere stories live. Discover now