Chapitre 1

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Elle se regarda une dernière fois dans la glace. Le reflet lui renvoyait l'image éternelle d'une jeune fille pâle et sûre d'elle. Une aura mystérieuse, gelée, tel un halo de mauvaises intentions, dansait à ses côtés. Elle remit rapidement en place les boucles argentées qui retombaient en avalanche dans son dos, maintenues par une faible fleur aux pétales fragiles et purs. Les derniers rayons du soleil crépusculaire glissaient par la fenêtre pour venir faire briller sa longue robe de cérémonie dont l'éclat faisait ressortir ses yeux d'argent. Son visage délicat, souligné d'un sourire froid, était semblable à celui d'un ange.

- Elicia ? Êtes-vous prête mademoiselle ?

Une jeune servante, essoufflée, arriva près d'elle. Les cernes prune sous ses yeux, sa peau abricot, ses joues pêche et ses cheveux réglisse contrastaient étrangement avec la pâleur qui s'échappait de la jeune fille blanche et hautaine.

- Ma fleur s'apprête à s'effacer, sonna la voix autoritaire et blanche de la dénommée Elicia.

Sans un mot, la petite servante dégaina adroitement un fin pinceau en bois de sa ceinture. Différent de ses semblables de peinture, il scintillait dans la pénombre de la chambre blanche. La jeune domestique fit danser ses pensées, son imagination déborda et d'un mouvement de poignet, une fleur semblable à une rose blanche prit la place de l'éphémère ancienne, plus brillante et plus absolue, façonnant la réalité d'une magie étrange.

- Parfait.

Elicia se détourna enfin du regard flatteur du miroir et tourna les talons, sortant de la vaste chambre pour s'engager dans un froid et long couloir sinistre. Elle s'inséra parfaitement entre deux jeunes filles identiques qui marchaient d'un pas pressé, ne lui adressa aucun regard. Vêtue de la même tenue qu'Elicia, elles paraissaient aussi fières et hautaines. Leurs trois sourires reflétaient le mensonge de leur regard. La beauté dure de leur silhouette gracieuse renvoyait une obscure forme d'angoisse qui aurait fait pâlir les déserts. Une longue traîne les suivait de près, foulant leur pas rapide. Leurs doigts fins et interminables, croisés au niveau de leur bassin, ne révélaient aucune anxiété à l'égard de la grande cérémonie qui leur était destinée, ils restaient muets et indifférents, comme si c'était une simple tâche quotidienne. Le blanc sonnait faux et aucune trace de lumière ne venait éclairer leur visage figé. Enfin, après un long moment, leurs pas silencieux arrivèrent devant une immense porte en bois qui s'ouvrit devant leur souffle similaire.

Semblable à une église, le monumental endroit débordait de gens muets et trop calmes, le dos et le regard droit. L'infinité des couleurs était présente dans leurs yeux qui ne pétillaient pas, leurs couleurs contrastants avec leurs vêtements ternes. La foule attendait, elle était comme une montagne à l'arrière-plan d'un magnifique tableau, comme une masse anonyme et effacée. De grandes fleurs blanches ou grises perles submergeaient des étendues de vases, répandant une douce odeur sucrée. Des milliers de roses, d'iris, d'orchidées, d'amaryllis, d'anémones, d'hortensia somnolaient sereinement, admirant les festivités silencieuses. Le toit de verre, recouvert d'un épais manteau de poudreuse, peinait à laisser les rayons de lumière entrer. Les plus fougueux, passaient à travers neige en longs faisceaux lumineux, pour aider les milles bougies à éclairer l'immense monument. Tous les regards étaient rivés vers le fond du spacieux sanctuaire, vers l'autel en marbre d'un blanc tranchant, où un monsieur chauve se dressait avec fierté. Avec son air sérieux et concentré, l'on lui donnait un âge de raison supérieur à ses véritables années vécues. Il portait une illustre longue barbe mauve qui dissimulait orgueilleusement son visage tendu. Déposés sur l'autel, ornés de gracieux dessins argentés, trois étuis à lacet identiques attendaient patiemment.

Les longues traînes des trois sœurs s'approchèrent symétriquement de l'autel dans une marche majestueuse. Leurs yeux brillaient d'excitation et d'ambition et leur sourire s'était comme figé de glace, ne répondant plus à l'appel de la douceur.

Un couple se démarqua à l'avant de la foule anonyme, grand, droit et élancé, habillé de vêtements luxueux et majestueux. Leur allure divine tonnait le respect et l'inclination. Les doigts de la belle dame étaient entrelacés devant elle tandis que ceux de l'homme retombaient le long de sa large carrure, lassés. Ils s'avancèrent de façon à encadrer leurs trois filles, surplombant les nombreux rangs de leurs cinq silhouettes imposantes et froides. Leur expression impassible, ne trahissait aucune émotion ni sentiment. Le fier monsieur à la barbe violacée commença, compromettant le silence glacial :

- Bienvenue.

Sa voix résonnait d'une force colossale, traversait les esprits et s'infiltrait dans les pensées perdues des gens inattentifs, faisant régner le froid et l'écoute.

- Alors que l'hiver arrive, les dernières de la famille royale Alba ont eu leurs quinze ans. Cela signifie qu'elles doivent recevoir leur pinceau, perpétuant le don et l'honneur de nos familles royales. Symbole d'art et de beauté, ils leur permettront de communiquer et d'exprimer leurs rêves et leurs pensées en façonnant la réalité. L'utilisant au mieux, elles sauront faire face aux ombres et aux pleurs pour continuer de servir la paix et la joie dans nos contrées. Châtiant les orages, les Tribus et les fuyards, elles sauront ce qui est bien. Affrontant le temps et l'ordinaire, grâce à leur pinceau, elles feront de l'imagination et du rêve, une réalité. Mesdemoiselles Elicia, Calypso et Myrabelia Alba, je vous remets solennellement votre pinceau. Qu'il reste avec vous quelque que soit le temps et les péripéties. Qu'il vous accompagne au-delà de vos espérances et qu'il vous serve tel que vous l'entendez.

Un souffle de vent se perdit dans l'immense monument, saluant les paroles du fier monsieur et de sa voix rauque. Les deux parents saisirent avec douceur les étuis. Ils les ouvrirent prudemment avant d'attraper doucement trois magnifiques pinceaux. Leurs poils, si doux et si délicats, brillaient sous la lumière mystérieuse des bougies, clairs et plus soyeux que la soie, ils étaient plus souples et plus fermes que n'importe quel autre pinceau. D'un bois unique et travaillé avec application, ils n'avaient aucune fissure, aucune écorchure, aucune faute, parfait. De longues lignes argentés se mêlaient, se tenaient la main, se liant telles des vignes dégourdis qui évoluaient sans cesse. Presque identiques, uniquement une initiale sculptée sur le manche les différait. E, C et M. Un instrument divin et convoité pour chacune des trois jeunes filles. Leurs parents sortirent ensuite trois petites fioles effilée, emplie d'un liquide étrange, de l'Encre.

Les sœurs n'avaient pas cillé, elle avait gardé les yeux ouverts tout le long et seul leur sourire froid avait disparu. Elles clignèrent enfin des paupières, au même instant, et prirent avec douceur et prudence leur pinceau dans les mains de leurs parents. Une énergie semblable à un éclat de soleil qui venait se nicher dans leur poitrine, scintilla, réchauffant étrangement leurs doigts glacés. Le tenant fièrement, elles déposèrent les poils de l'instrument dans l'ampoule remplie d'Encre puis elles se concentrèrent et fermèrent les yeux. Traversant les nuages et les tempêtes de leur tête, elles firent danser leur poignet droit identiquement devant elles, semblables à des miroirs. Des milliers de bulles apparurent soudainement, accueillis par des applaudissements calmes et sérieux.

Les arcs-en-ciel osèrent se refléter dans les bulles enluminées, égales à des flocons de couleurs. Montant vers le plafond de verre encouragées par la danse des doigts des sœurs, elles étaient toujours plus nombreuses, resplendissantes et magnifiques. Des camaïeux multicolores mêlaient le bleu, l'orange, le vert, le jaune et la joie. D'un coup de pinceau parfait accompagné par un murmure, elles les firent éclater, faisant couler leur bonheur dans les fleurs qui volèrent leurs couleurs.

Un sourire froid éclairait leur visage blanc immaculé et leur peau satinée. Leurs paupières papillonnaient sous l'éclat de la pureté.

Leurs parents les regardaient, impassibles, puis les portes s'ouvrirent, laissant s'échapper la foule.

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La marque du sangWhere stories live. Discover now