Chapitre 6

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  Myra dormait rarement si mal. L'absence de sa jumelle la faisait souffrir, comme si son cœur et son sommeil s'étaient enfuis avec elle. Elle avait passé presque toute la nuit à la chercher avec Elicia, en vain. Elles n'avaient bien sûr pas alerté leur mère et s'étaient blotties l'une contre l'autre, dans l'attente horrible, voulant se protéger du manque. Mais Myra n'était pas inquiète pour sa jumelle, elle savait qu'elle était puissante, surdouée dans l'art du pinceau. Pouvant presque utiliser deux épées à la fois, elle se battait mieux que des généraux de l'armée. Les membres des familles royales avaient, de plus, la capacité d'arriver à rapidement manier leur pinceau contrairement aux autres, auxquels il fallait plusieurs années avant de réussir à faire simplement léviter un objet. Myra avait lu que cet art était comme la peinture, la danse, la musique ou même l'écriture, certaines personnes y parvenaient mieux que d'autres mais tout le monde peut y arriver avec de l'exercice.

  Lorsque Myra émergea d'un sommeil agité, Caly était devant elle, légèrement rouge. Echo, qui avait cette fois ci pris la forme d'un petit chat ailé dormait contre elle. D'immenses cernes révélaient la nuit blanche de la jeune fille, ses cheveux voltigeaient dans tous les sens et ses lèvres esquissèrent un petit sourire quand elle aperçut que sa sœur s'était éveillée. Sans un mot, elle se précipita dans ses bras bafouillant des excuses inintelligibles. Leur soulagement réveilla Elicia qui adressa un gentil sourire à sa petite sœur, recoiffant du bout des doigts ses mèches rebelles.

- Où étais-tu passé ? demanda-t-elle dans un souffle.

  Après un sourire mesquin et un petit silence, Caly répondit simplement.

-J'ai trouvé.

  Sous les sages reproches de son aînée, elle avait fait rapidement disparaître Echo tout en les incitant à se lever vite. Malgré l'excitation, Elicia insistait sur le fait de ne plus gâcher d'Encre. Caly les conduisit en courant à la Grande Bibliothèque, fière d'elle. Devant le sourire qui habitait les mines droites et attentives de ses sœurs éblouies par la beauté de l'immense salle, elle leur présenta une pile de livres qu'elle avait jugée digne d'intérêt et qu'elle avait regroupée sur une basse et grande table de bois foncé entourée par de moelleux canapés et par une immense cheminée qui crépitait, partageant sa douce chaleur et sa délicate émanation. Après s'être installées, elle leur fit part de l'idée qui lui trottait dans la tête.

- Lorsque nous étions en ville, peu avant le bal, une coiffeuse a dit que les Tribus se débrouillaient avec une autre Encre. J'ai lu quelques ouvrages intéressants cette nuit et tout confirme cette hypothèse. Ils n'utilisent pas la même que nous. Bien sûr, ces barbares sont tellement dégénérés et abrutis que la leur n'est pas aussi parfaite que la nôtre. Elle dure moins longtemps et est moins puissante, il faut aussi plus de force d'esprit pour s'en servir. Globalement, c'est beaucoup plus compliqué.

  Devant le regard vif et attentif de ses sœurs, elle poursuivit en présentant un ouvrage abimé dont la couverture représentait un homme impavible et presque nu.

- Ils utilisent un ingrédient « secret » pour préparer leur Encre qu'apparemment nous n'utilisons pas et qui est incapable de se disparaître d'après eux. Je crois que c'est une plante immortelle... un truc étrange dans ce genre-là.

  Pendant qu'elle continuait, Elicia s'était levée et arpentait des yeux les milliers de livres qui s'offraient à elle, presque émue. C'était la première qu'elle voyait autant de volumes. Tout en écoutant sa sœur, elle avait saisi un immense ouvrage à la tranche argentée qui lui tomba des mains à cause de sa taille gigantesque dans un grand bruit, interrompant Caly, la faisant sourire. L'ouvrage s'avérait être en fait une immense carte dont la taille devait dépasser largement les cinq mètres. Tandis que Myra déposait ses petites lunettes rondes aux fines branches sur son nez, due à une question d'habitude, Caly s'était précipitée pour l'aider. Difficilement, elles réussirent à la soulever et la déposer lourdement sur la table dans un amas de flocon de saleté. Le repassant de sa délicate main, Elicia dévoila, sous la poussière, la carte du Monde, révélant les chaînes de montagnes, les océans, les forêts, les fleuves, les plaines infinies. Son regard glacé voyageait, trépignant de curiosité, à travers les noms inscrits dans une langue étrangère, sans doute morte. Certains résonnaient durs tandis que d'autres sonnaient telle une douce mélodie. Un petit sourire, contraire au reste de son visage hautain et glacé, apparût timidement lorsqu'elle effleura son château. Situé loin dans le nord, au pays du froid, il était entouré d'immenses montagnes dont les pics si hauts rasaient de leurs doigts de froid les nombreux nuages orographiques qui valsaient au-dessus d'eux.

  Leur château semblait si petit et sa chambre, pourtant immense, restait invisible. Ses jeunes sœurs, intéressées, faisaient elles aussi parcourir à leurs yeux des voyages infinis.

  Myra remonta de nouveau ses lunettes, cala l'une de ses deux tresses derrière son dos et trouva un nom qui lui semblait maintenant familier, perdu dans une immense forêt.

- Regardez... murmura-t-elle dans un souffle, la Tribu des Sylves...

  Ne trouvant aucune autre trace de tribus près du château, elle quitta des yeux la carte et se mit à fouiller consciencieusement les étagères. Elle aperçut enfin la tranche d'un livre où était inscrit ce mot étranger qui sonnait pourtant familier à ses oreilles, mais il était beaucoup trop haut. Après s'être rapidement concentrée, elle invita un grand tabouret à joindre la réalité d'un coup de pinceau. Elle attrapa à tire d'aile le livre avant de murmurer d'une petite voix osaekomu sous le regard accusateur de ses sœurs. Sans un sourire, elle se rassit confortablement sur le canapé et feuilleta le livre, intéressée, tandis que le tabouret disparaissait dans un éclat de poussière argentée.

  Puis, après un long moment de silence et quelques allers et retours vers la carte, Myra annonça d'une voix claire :

- Demain. 5h. Départ.

La marque du sangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant