Chapitre 16 : Earthquake

20.7K 1.1K 63
                                    

Mia

 

Mon pied tape régulièrement sur le parquet de la salle d'attente, témoignant mon appréhension grandissante. C'est bientôt le moment. Dans quelques instants je me lance. Dans quelques instants je vais parler avec ma psy de mon passé. Et j'ai comme l'impression que je m'apprête à me jeter du haut d'un immeuble. Que je vais me jeter du haut de quinze étages et que je vais m'éclater littéralement sur le trottoir froid. J'ignore pourquoi, mais en révélant tout ça à quelqu'un, j'ai l'impression de creuser ma propre tombe. D'invoquer mon propre malheur. De construire ma propre fin. Pourquoi? Tout simplement parce que si les détails de mon passé viennent à se savoir, je ne survivrai pas. Si toutes les informations concernant mon passé étaient dévoilées au grand jour, je ne pourrai pas le supporter. Non, ça serait largement au dessus de mes capacités.

Je sais que les gens ont une idée plus ou moins concise de ce qu'il est arrivé, mais aucun d'eux ne sait précisément ce qu'il s'est passé cette nuit là... Personne ne sait ce qui a poussé Kate et "lui" à faire ce qu'ils ont décidé de faire. A vrai dire, je suis la seule à le savoir. Même mes parents ignorent une partie de la vérité.

Cela fait presque une semaine que je réfléchissais tous les jours à comment j'allais raconter à Amy ce qu'il s'est passé. Par où j'allais commencer, ce qu'il fallait lui dire ou non. J'avais même commencé à réfléchir aux différentes répliques que je pourrais lui lancer si elle commentait mon récit de manière impertinente. Mais maintenant que j'y suis, maintenant que je suis à quelques secondes de m'exprimer devant elle, tout mon courage semble s'être envolé. J'ai tout oublié. Toutes les répliques, tout le texte préprogrammé que j'avais préparés... J'ai tout oublié.

J'ai arraché toutes les petites peaux autour de mes ongles, laissant mon épiderme rouge et écorché. Mes dents exercent une pression continue et douloureuse sur ma lèvre inférieure, comme pour m'empêcher de craquer. Mais plus les secondes passent plus je sens la pression monter. Elle augmente à un rythme surdimensionné. Et je sais que si elle continue de s'accroître comme ça, je ne pourrais pas m'empêcher de tout détruire dans cette pièce. Et je sais que je suis capable de faire ça. En fait, ça c'est déjà produit deux fois.

La première fois c'est ma chambre que j'ai détruite.

Je ne me souviens pas exactement du jour où j'ai détruit ma chambre. Je sais juste que c'était à cause de mon père. C'était quelques jours après que Kate nous ait abandonné et j'étais vraiment au plus mal. En fait, j'étais carrément au fond du gouffre. Et mon père m'avait littéralement poussée à bout. Il m'avait poussée à mes limites."Dis-moi, ce que tu sais Mia! Je t'ordonne de me dire pourquoi elle a fait ça!" m'avait-il exiger. Il n'arrêtait pas de me répéter ses ordres accablants. Il était persuadé que je savais tout. "Tu l'as vu cette nuit là! Tu devais forcément savoir ce qu'elle s'apprêter à faire! Alors pourquoi n'as-tu rien dit!" Mais je n'en savais rien et j'étais restée muette. Mon père était persuadé que j'étais au courant de ce Kate voulait faire et je crois que c'est à cause de ça que je me sens si coupable de n'avoir rien fait pour l'empêcher de partir. C'est à cause de lui que je me sens si fautive dans cette histoire... 

La seconde fois j'ai détruit celle de Kate. 
 
Contrairement à la fois où j'ai détruit ma chambre, je me souviens parfaitement du jour ou j'ai détruit celle de ma soeur. C'était quelques semaines avant mon intégration dans le centre spécialisé de Manchester. J'avais besoin d'extérioriser la colère et la haine que j'avais envers elle. J'avais besoin de montrer à quel point je la haïssais pour ce qu'elle m'avait fait. Je voulais me venger pour ce que j'étais devenue à cause d'elle et je n'avais rien trouvé de mieux que de saccager sa putain de chambre. Ouais, la colère, la haine, la douleur permanente, le manque de sommeil et l'absence de médicament dans mon organisme m'avaient poussée à détruire sa chambre. J'avais arraché ses posters pleins de poussière, j'avais éclaté toutes ses décorations contre les murs, j'avais sorti tous ses vêtements vieillis par le temps de son armoire, et les avais déchirés. J'étais devenue hystérique et incontrôlable. Mais avoir causé cette pagaille, m'avait calmé.

La porte devant moi s'ouvre doucement, dévoilant Amy. Elle se tient droite, le menton relevé, les bras le long du corps. Son habituelle jupe a été remplacée par un pantalon noir plutôt élégant et elle a opté pour un chemisier crème basique. Ses cheveux sont rassemblés en un chignon sophistiqué sur le sommet de sa tête : on croirait que ma psychiatre et ma mère partagent un seul et même cerveau.

« Bonjour Mia, dit-elle d'un ton confiant.
-Bonjour, chuchotais-je.
-On y va? »

Je hoche la tête, quelque peu déstabilisée. Je récupère ma sacoche posée sur le sol, avant de me lever de la chaise peu confortable et de suivre Amy dans son bureau.

Plus que quelques secondes.

Nous pénétrons dans la pièce et je découvre qu'elle sent le renfermé. Je peux deviner que la pièce n'a simplement pas été aérée en raison du mauvais temps continuel. Et je pense que si une des fenêtres avait été ouverte pour apporter de l'air frais au bureau, la pluie aurait mouillé l'intérieur.

L'endroit me parait plus triste que d'habitude. Le cabinet est plus sombre à cause de l'absence du soleil, qui fournit en temps normal, une luminosité éclatante. L'air est frais et je pourrais même dire que l'endroit est lugubre. Il me fait froid dans le dos. Je prends place sur le gros fauteuil matelassé puis pose mon sac sur mes genoux. Elle me rejoint après avoir fermé la porte par laquelle nous venons de passer. Elle affiche un air sévère mais paraît détendue.

« Je suis prête, dis-je. »

Elle fronce les sourcils avant de joindre ses mains. Elle semble surprise, je pense qu'elle ne s'attendait pas à ce que ce jour arrive.

« Bien, tu as l'attention de me parler de quoi exactement?
-Je propose de commencer par le commencement. »


Elle se lève promptement, se dirige vers son bureau et attrape son carnet et un stylo. Elle revient s'asseoir en face de moi alors que je scrute le moindre de ses gestes. Elle débouchonne le stylo et tourne les feuilles du calepin jusqu'à ce qu'elle en trouve une vierge. Elle pose la mine du stylo sur le papier blanc avant de relever les yeux vers moi.

« Je t'écoute Mia. »

Ma gorge se noue comme pour m'obliger à me taire. Comme pour m'éviter de parler et de regretter mes mots. Je peux même sentir ma bouche s'assécher et mes doigts trembler. Je me racle la gorge dans l'espoir de ravaler mon anxiété mais elle reste coincée dans mon œsophage. Mon corps semble l'allié de mon cœur, et non de ma tête. Car même si je sais que parler à ma psy est la bonne solution, mon cœur ne l'accepte pas. Il est toujours blessé et une partie, sûrement plus grosse que ce que je le pense, de lui continue de croire que tout ça n'est qu'un mauvais rêve. Que tout ça n'est qu'un canular ou le fruit de mon imagination.

« Promettez-moi de ne rien dire. A personne, réussis-je à articuler.
-Bien sûr Mia, je suis tenue au secret professionnel. Je ne dirais rien. »

"Elle est tenue au secret profession, dit-elle alors que ta mère et elle entretiennent des conversations régulières à ton sujet..." Me rappelle mon subconscient. Je secoue ma tête de droite à gauche comme pour chasser cette idée de ma tête.

« Même pas à ma mère, ni à mon père. Personne.
-Je le promets,
 assura-t-elle. »

Mes ongles recommencent à gratter ma chaire à vif, la faisant s'ouvrir encore plus. Je peux maintenant sentir mon cœur battre rapidement dans ma poitrine.

« Ça risque d'être long.
-On a tout notre temps Mia, tu es mon dernier rendez-vous, on peut rester le temps qu'il faudra.
-Heu, je pense qu'y aller doucement serait mieux pour moi.
-On va à ton rythme, tu n'as rien à craindre. On prendra le temps qu'il te faudra. »

Je respire profondément, essayant de réduire l'accumulation de phrases qui veulent sortir de ma bouche. L'accumulation de toutes ces plaintes et de toute cette douleur.

Je prends encore quelques secondes pour me calmer et me dire que tout va bien, pour me persuader que rien ne s'échappera d'ici. Que tout ce que je dirais restera entre elle et moi. J'entrouvre ma bouche et je pense que c'est la première fois depuis trois ans que je suis prête à en parler... 
 
« Je suis presque sûre que tout le monde croit que "ma folie" ne résulte que de ce qu'il s'est passé cette nuit là, commençais-je. Non, en fait je suis même certaine que tout le monde croit que c'est pour ça que je suis devenue subitement dérangée. Mais c'est totalement faux. Les gens qui pensent ça, sont soit aveugles, soit débiles. Je dis ça car s'ils avaient réellement cherché à trouver la source véritable de ma dépression, de mes envies suicidaires et de mes troubles psychiques ils auraient vu que ce n'était pas qu'à cause de ça. En réalité, mon état était déjà bien bas lorsqu'elle nous a abandonnés. La douleur était elle aussi, bien présente, et ce depuis un bon bout de temps. Pour être franche la décision qu'a prit Kate cette nuit là, n'est qu'une des petites raisons pour lesquelles je vais mal. Ce n'est même qu'un détail parmi tout ce que j'ai du endurer et supporter. Mais sachez, que même si je dis que son abandon n'est qu'une des causes de mon état, c'est tout de même à cause d'elle que je suis devenue la fille dépressive que je suis.  
 -Que veux-tu dire par "c'est tout de même à cause d'elle"? demanda ma psy urgemment. »   
 
Je me rehausse dans le fauteuil, de manière à rendre ma position confortable, puis je croise mes jambes tremblantes. Je jette un coup d'œil  au minuteur de la psy qui demeure toujours sur son bureau massif. 45 minutes. C'est le temps qu'il reste avant que l'heure ne soit écoulée. Je sais que ces 45 petites minutes ne seront pas suffisantes pour raconter toutes les choses que j'ai à lui dire. Et tant mieux, car je ne pourrai pas tout lui raconter d'un coup. Déjà que l'effort que je fais pour rester assise dans ce fauteuil est presque surhumain, il est sûr que je n'arriverai pas à tout lui dévoilé d'un coup. Je peux même dire que je suis à deux-doigts de me mettre des claques virtuelles pour m'obliger à rester immobile. La respiration de la femme est plus rapide qu'ordinairement. Ses sourcils froncés, forment une longue ligne droite aux dessus de ses yeux verts. Et je peux facilement distinguer la surprise et l'incompréhension dans ses traits tendus. Elle ne s'attendait sûrement pas à ça. Elle devait penser que la pauvre fille que j'étais, s'était effondrée pour un simple malheur, que des centaines de personnes subissent. Elle devait sans doute penser que j'étais faible. Mais ce n'est pas le cas. 
 
Si elle est surprise par les révélations que je viens de lui faire, je ne veux pas m'imaginer comment elle sera quand je lui raconterai le reste.
 
« Et bien... Kate à toujours était la préférée. Elle a toujours été celle qu'on aimait et celle qu'on respectait. Elle a toujours été la préférée de nos parents. 
-Tu veux dire, que vos parents faisaient des différences entre Kate et toi? demanda-t-elle, visiblement de plus en plus étonnée.
-C'était plus que des différences. Par rapport à elle, je n'étais à leurs yeux, sûrement qu'une figurante dans leur vie parfaite. Elle avait tout ce qu'ils voulaient. Des notes brillantes, une attitude irréprochable, elle était polie, très sociable et cultivée. Elle dégageait un air confient avec sa démarche gracieuse, la tête levée et le dos droit. Elle avait un visage divin. Mais ça, c'était seulement ce qu'ils croyaient qu'elle était. Une fille angélique, sans aucun défaut. Une fille idéale, à ajouter à leur tableau de la famille modèle. Ils ne savent sûrement pas que la perfection n'existait pas, n'existe et n'existera jamais. Mais visiblement ils étaient persuadés du contraire. Ils disaient souvent que Kate était une fille unique et parfaite. Mais je ne correspondais, et ne correspond visiblement toujours pas, à leur définition de "perfection" . Renfermée, complexée et réservée, une scolarité difficile, timide et facilement nerveuse. Toujours mise à l'écart, j'étais une plaie, un fardeau qu'il fallait trainait partout, mais que dès qu'on en avait l'occasion, on recalait au second plan. J'étais comme l'ombre qui assombrissait leur éblouissante famille idyllique. » 
 
35 minutes, affiche le minuteur.
 
« Ils avaient presque honte de moi, honte de me présenter à leurs amis, honte de sortir dehors en ma présence. Vous vous imaginez ce que ça fait de ressentir que vos parents ne vous aime pas et qu'ils ont honte de vous? Vous vous imaginez ce que ça fait à une gamine de se sentir si délaissée? Et bien, c'est ce que je ressentais. Mes parents avaient tout simplement honte de sortir avec moi. Mais je suis sûre que s'ils avaient su, rien qu'un dixième de ce qu'étais réellement leur fille ainée, ils auraient amplement préféré s'afficher avec moi dans les rues de Londres plutôt qu'avec elle. Mais ils n'ont jamais rien su. Kate cachait tellement bien son jeu. Elle était experte pour jouer la comédie. Je me demandais même par moment, si elle ne devrait pas plutôt se tourner vers une carrière d'actrice plutôt que vers la carrière d'architecte, qui lui était prédestinée. Elle était en réalité manipulatrice et impitoyable. C'était la personne la moins emphatique que je n'ai jamais connu. Elle n'avait jamais de remords, jamais de regrets. Elle assumait étonnamment ses actes, qu'ils soient bon ou mauvais. Enfin, elle les assumait sauf devant nos parents. Et lorsqu'il m'arrivait de me plaindre de son comportement, elle sortait son masque infaillible et niait tous mes mots. Elle finissait toujours par gagner et me faisait passer pour une menteuse aux yeux de mes parents. Elle m'utilisait quand elle en avait besoin et me jetait quand je ne lui étais plus utile. Mais malgré tout ça, je l'admirais. Je l'affectionnais plus que je ne l'aurais du. Je l'idolâtrais presque. Je rêvais jours et nuits de lui ressembler. Lorsque j'avais 7 ans, elle était comme un modèle pour moi. » 
 
Je soupire lorsque je me rends compte que mes ongles été encore en train d'attaquer ma peau à vif. Les entailles que j'ai creusées sont maintenant assez profonde pour saigner. Et de petites gouttelettes rouges perlent à présent à certains endroits. La couleur pétante du sang contraste parfaitement avec ma peau blanche comme de la neige. 
 
Un coup de tonnerre retentit soudainement, me faisant sursauter.
 
« Est-ce que ça va, Mia? demanda Amy. 
-Heu, oui, répondis-je doucement. Je n'aime juste pas les orages. » 
 
Je frissonne involontairement en pensant à l'air humide, au ciel noir et aux flaques d'eau qu'il y aura dehors lorsque je sortirais d'ici. Contrairement à la neige, je déteste la pluie. Selon moi, il n'y a rien de plus désagréable que de marcher sous la flotte. Je replace une de mes mèches derrière mon oreille et attrape ma lèvre inférieure entre mes dents. 
 
25 minutes. 
 
« Malgré mes efforts, je ne suis jamais parvenue à lui ressembler. Même pas un peu. Elle me devançait toujours. Et à l'âge de 11 ans, j'ai finalement laissé tomber et je me suis renfermée. Encore plus... Je me sentais tellement exclus et délaissée, ça m'a littéralement brisée. Je n'adressais presque plus la parole à mes parents. Je les détestais trop. Je suis devenue pessimiste. Je ne comprenais même plus ce qu'il m'arrivait. Plus rien ne m'intéressait, plus rien ne me plaisait, je n'avais plus aucune envie, hormis celle de mourir. Je sombrais petit à petit. Je sombrais à cause de l'indifférence de mes parents à mon égard et de la "perfection" qu'étais ma sœur à leurs yeux. » 
 
Amy griffonne quelques mots sur son calepin imprimé, avant de reporter son attention sur moi. Le léger bruit de frottement que fait la mine du crayon contre le papier lorsqu'elle écrit, n'est qu'un murmure par rapport au bruit que fait la pluie en s'abattant sur le toit de la demeure. 
 
Un autre coup de tonnerre. Le ciel gronde. Je regarde prestement vers la fenêtre en face de moi pour voir un faisceau lumineux découper le ciel noir l'espace d'une seconde. J'ai l'impression que le ciel s'ouvre et déverse sa colère et sa douleur accumulée, exactement comme je suis entrain de le faire. La pluie tombe par litre d'eau. La tempête se prépare, elle sera là dans quelques instants. 
 
Je quitte finalement des yeux le bow-window et m'oblige à regarder ma psy. Je sens alors mon portable vibrer dans la poche de mon jean, faisant frémir ma jambe. Je l'extirpe rapidement, sachant que lire mes messages ici n'est pas l'endroit approprié. Je déverrouille mon téléphone et appuis sur l'application "message" qui indique 1. Le message vient de "H". C'est Harry. Je ne l'ouvre pas et range mon portable à sa place initiale. Je le lirai après, je ne voudrais pas que son message me déconcentre, ou me porte à confusion. 
 
15 minutes.
 
« J'ai alors commencé le patinage artistique. J'y allais tous les soirs, pour éviter de me retrouver seule avec Kate-parfaite-Brown. Pour éviter de la laisser me marcher sur les pieds, comme je l'ai toujours laissé faire. J'ai vite atteint un excellent niveau, et j'ai même participé à quelques compétitions. Je pense qu'il est inutile de préciser que mes parents n'y allaient pas. Ils ne voulaient simplement pas me voir concourir. Ils me disaient, je m'en souviens encore, que tant que je trouvais quelqu'un pour m'y conduire, je pouvais y aller. Mais ils m'avaient clairement fait comprendre qu'ils ne m'y emmèneraient jamais et qu'ils ne me regarderaient encore moins patiner. Ils devaient sûrement penser que j'étais nulle et que j'allais me ridiculiser en tombant sur la glace au premier saut de trois réalisé. »
 
Je rigole doucement. S'ils étaient venus rien qu'une fois, je leur aurais montré de quoi j'étais capable. Je leur aurais montré que je pouvais, moi aussi, être douée dans quelque chose. 
 
« Kate, elle, faisait de l'équitation. Elle excellait dans ce domaine, comme dans toutes les autres choses qu'elle entreprenait d'ailleurs. Elle a eu tous les "Stages BHS" en quelques années. Elle participait à des compétitions chaque semaine, et comme vous l'aurez deviné, mes parents l'y accompagnaient et restaient même quelques fois pour la supporter. Elle revenait, la plupart du temps, avec des trophées pleins les bras. D'ailleurs, le salon de notre maison a rapidement été rempli et décoré par tous les prix qu'elle avait reçus. »
 
Je soupire en visualisant toutes les médailles et toutes les coupes qui trônent encore dans le living-room. Cette maison était vraiment à son image. Riche, prospère, brillante et ambitieuse. 
 
10 minutes. 
 
« Et ça, ce n'est qu'une des petites différences qu'ils faisaient entre nous. J'en aurais encore pleins d'autres à raconter mais je ne veux pas trop m'éterniser sur le sujet. »
 
Elle acquiesce doucement. Elle parait subjuguée par mon sombre récit. 
 
« Mais lorsque j'ai eu douze ans, tout à changé. Tout a changé lorsqu'il est arrivé. » 
 
Elle fronce ses sourcils encore plus et entrouvre ses lèvres rosées.
 
« Qui ça "il"? »
 
Je souris en me rappelant de lui et des moments que nous avons passé tous les trois. Kate, lui et moi. 
 
« Je n'ai pas trop aimé le livre que je vous ai emprunté, dis-je en changeant subitement de sujet. Je l'ai trouvé peu vrai. L'auteur ne connait pas réellement la bipolarité. Ça se voit au premier chapitre. Il décrit cette maladie comme il la voit et comme il pense qu'elle l'est. Mais pas comme elle est véritablement. Il n'a que des à priori sur le sujet. Il ne connait visiblement rien de plus sur cette maladie que n'importe qui. Vous savez qui est-ce qui a écrit ce roman? Un amateur, un écrivain en manque d'inspiration, un psychologue ou peut-être même un psychiatre? 
-Je n'en sais rien, répondit-elle, sincèrement. 
-Ce qui est sûr, c'est qu'il n'est pas bipolaire. La façon dont il décrit les changements d'humeurs de Tom, le personnage principal, est tout simplement insensée. 
-Si tu le dis. 
-Je n'ai d'ailleurs pas voulu lire la fin. 
-Pourquoi? »
 
5 minutes. 
 
« Simplement, car je n'aurais pas supporter "une fin heureuse". 
-Pour qu'elle raison n'aurais-tu pas pu supporter ça? Demanda-t-elle. 
-Parce que les fins heureuses n'existent pas, Amy. Vous devriez le savoir. » 
 
Je joue avec l'ourlet de mon tee-shirt alors qu'elle parait sceptique. Mes mains ne tremblent plus, j'ai réussi à récupérer un minimum de confiance. 
 
« -Tout à l'heure tu m'as dit que tout avait changé lorsqu'il est arrivé. Qui est-il, Mia? » 
 
Je regarde la petite horloge posée sur son bureau. Elle affiche "trois minutes". Je n'aurais pas le temps de lui raconter aujourd'hui. 
 
« Il reste à peine trois minutes, je pense qu'il est trop tard pour vous raconter cela ce soir. Peut-être la prochaine fois. » 
 
Je me lève et récupère mon sac, même si le temps n'est pas tout à fait écoulé. 
 
« Si ça ne vous dérange pas, je vais partir un peu plus tôt, ce soir. Je n'aimerai vraiment pas loupé le bus, regardez le temps qu'il fait! dis-je en fermant mon manteau. 
-D'accord, fait bien attention à toi, Mia. » 
 
J'hoche la tête et me dirige vers la grande porte en bois. J'ouvre la séparation avant de lui dire:
 
« A la semaine prochaine, Amy. »
 
"Personne ne m'a jamais laissé de chance. On m'a toujours collé les étiquettes de "faible" et de "ratée" sans me laisser une chance de m'exprimer. Ils l'ont tous fait. Tous, sauf lui."  

Free MeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant