partie 18

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Jamais le quartier indigène n'a connu une veillée aussi prolongée que celle de la nuit dernière. Tous les noirs s'étaient réunis autour d'un grand feu dans la case à palabres.
Quand j'y entrait, le petit groupe des anciens écoutait Ali le haoussa. C'est le seul marchand ambulant du quartier indigène.
Sa barbiche est blanche et sa sagesse lui a donné une place parmi les anciens de Dangan.
Il fut interrompu par Mekongo, l'ancien combattant.
_ Je dis que vous vous fatiguez inutilement la tête à propos de cette femme du commandant.
Tant que vous n'avez pas coucher avec une femme blanche, vous vous fatiguerez inutilement la tête. Moi, j'ai fait la guerre au pays des blancs. J'y ai laissé ma jambe et ne regrette rien. J'ai vu toutes sortes de femmes blanches et je peux me permettre de dire que la femme du commandant est une femme blanche parmi les femmes blanches.
_ Toi qui as fait la guerre, dit quelqu'un, toi qui as couché avec les femmes blanches, dis nous si les femmes blanches valent mieux que les nôtres ?
Je ne suis pas sans tête pour te poser cette question. Pourquoi les blancs nous interdisent ils leurs femmes ?
_ C'est peut être parce qu'ils sont incirconcis ! Lança quelqu'un.
Tout le monde pouffa de rire. Quand le calme fut revenu, Mekongo répondit à celui qui l'avait interrogé :
_ Obila, tu as une tête et elle est remplie de sagesse. La question que tu me poses est celle d'un sage, mais d'un sage qui cherche à comprendre. Nos ancêtres disaient :<< la vérité existe au delà des montagnes , pour la connaître il faut voyager>> j'ai donc voyagé. J'ai fait le grand voyage que tu connais. J'ai couché avec les femmes blanches. J'ai fait la guerre, j'ai perdu ma jambe et je peux te répondre.
Lorsque je quittai ce pays, j'étais déjà un homme. Si j'avais été un enfant, les blancs ne m'auraient pas appelé. En partant pour la guerre j'avais laissé une femme enceinte. Pendant toute la guerre de Libye, je ne pensais pas aux femmes. Après notre victoire, mon bataillon fut dirigé sur Alger. Nous avions une permission de vingt jours. J'avais tout mon argent. Je pouvais commettre le péché du sixième commandement, la mort était loin. J'avais des blancs comme camarades, de vrais blancs, ceux là . ils me disaient :<< camarat' pour moi, toi viens avec nous, li femmes y en a beaucoup en ville.>> je leur demandai :<< y en a t_ il femmes noires>>? Ils me répondaient: << femmes blanches, madame blanche>>. Je pensais que les blanches et les noirs ne pouvaient dormir ensemble. Ça ne s'était jamais fait ici. Mais quand mes amis blancs me racontèrent que les saras avaient déjà des bonnes amies blanches, je résolus de suivre mes amis blancs. Ils me conduisirent au bordel. C'est une grande maison pleine de femmes. Depuis que je suis né, je n'avais jamais vu ça. Il y en avait de toutes les couleurs, de toutes les grosseurs, de tous les âges. Les unes avaient les cheveux qui qui étaient comme la barbe de maïs, d'autres avaient des cheveux qui étaient plus noirs que du coaltar ou plus rouge que la latérite de nos cases. Un blanc au gros ventre et avec des boursoufflures sous les yeux me dit de choisir l'une des femmes qui défilaient devant moi.
Moi, je voulais une vraie blanche, cheveux couleur de la barbe de maïs, yeux de panthère, les fesses comme une pâte collée au mur.
_ Ça, c'était une vraie femme blanche, approuva quelqu'un.
_ Quand j'eus fait mon choix, la femme vint près de moi et me passa la main sous le menton. Nous entrâmes dans une chambre. Jamais je n'avais vu de chambre pareille. Il y avait des glaces partout. Nos images couvraient les murs et le plafond. Un grand lit était fait à la manière des blancs. Plus loin, il y avait un paravent derrière lequel se trouvait tout ce qu'il faut pour se laver. La femme que j'avais choisie portait une grande robe avec beaucoup de boutons devant. Elle était aussi grande que moi et aussi blanche qu'un pique boeuf. Ses cheveux de barbe de maïs tombaient sur ses épaules. Elle vint près de moi en riant et m'appela << mon petit poulet>>. Mon sang ne fit qu'un tour. Je mz levai. Elle recula, effrayée. Je lui demandai pourquoi elle m'insultait. Elle se mit à rire en se tortillant. Cela m'exaspèra de plus en plus. J'aurais pu lui donner une bonne gifle, mais j'avais peur d'être cassé. Quand elle se fut calmée, elle m'expliqua qu'elle ne m'injurait pas et que les femmes blanches donnent tous les noms à celui qui fait la chose avec elles. Elle me montra une lettre qu'elle allait envoyer à l'un de ses poulets lieutenants. Je lus en effet << mon poulet adoré>> ou << adoré>> , je ne sais plus. Je compris qu'elle disait la vérité.
_ Ce qui arriva ensuite.... Je voudrais d'abord qu'on fasse sortir les enfants.
Ceux qu'on chassa de la case à palabres sortirent en maugréant.
_ Je crois qu'ils sont tous sorti, dit Mekongo. Approchez , je ne voudrais pas trop élever la voix. Ce que je vais vous racontez ne se raconte pas...
Tu as bien de la chance d'avoir fait la guerre dit quelqu'un.
C'est alors que je m'éloignai.

Une Vie De Boy (En 1ére)Where stories live. Discover now