partie 1

38.6K 973 39
                                    

C'était le soir. Le soleil avait disparu derrière les hautes cimes. L'ombre épaisse de la foret envahissait Akoma. Des branches de toucans fendirent l'espace à grands coups d'aile et leurs cris plaintifs moururent peu à peu. La dernière nuit de mes vacances en guinée espagnole descendait furtivement. J'allais bientôt quitter cette terre où nous autres <<français>> du Gabon ou du Cameroun venions faire peau neuve quand rien n'allait plus avec nos compatriotes blancs.
C'était l'heure du repas habituel de bâtons de manioc au poisson. Nous mangions en silence car la bouche qui parle ne mange pas. Le chien de la case,vautré entre mes jambes. Suivait d'un regard envieux les morceaux de poisson qui disparaissaient dans la bouche de mon hôte, son maitre. Tout le monde était repu. À la fin du repas,nous rotâmes à tour de rôle tout en nous grattant le ventre avec l'auriculaire. La maîtresse de maison nous remercia d'un sourire. La veillée s'annonçait gaie et fertile en contes de la forêt. Nous faisions semblant d'oublier mon départ. Je me laissais gagner par la joue facile de mes hôtes. Ils ne pensaient qu'a se grouper autour du foyer pour rabâcher les sempiternelles aventures de la tortue et de l'éléphant.
-Nous n'avons plus de clair de lune,dit mon hôte,nous aurions dansé en l'honneur de ton départ...
_si on faisait un grand feu dans la cour?suggéra sa femme.
_je n'y ai pas penser pendant le joue,il n'y a plus de bois...
Sa femme soupira... Tout à coups,les roulements sinistres d'un tam_tam mous parvinrent. Bien que ne sachant pas traduire le message du tam_tam des mes congénères espagnols. Je compris à l'expression bouleversée des visages que ce tam_tam annonçait quelque malheur.
_Madre de dios! Jura Anton en se signant.
Sa femme fit disparaître ses prunelles en se signant à son tour. Je portais machinalement la main sur mon front.
_Madre de dios! Redit Anton en se tournant vers moi. Encore l'un de ces pauvres françés... On annonce qu'un françés est au plus mal et qu'on n'est pas sur
qu'il passera la nuit.
Le sort de cet homme qui ne m'était rien,que je ne connaissais pas,provoqua dans mon esprit un véritable désarroi. C'était curieux. Ce message d'agonie qui,au Cameroun, n'eût provoqué en moi qu'un semblant d'émotion_ cette pitié lointaine que l'on ressent à l'agonie des autres_  m'assommait sur cette terre espagnole.
_ le tam_tam vient de M.foula, cela m'étonne,poursuivit mon hôte. Il n'y avait pas de françés à M'foula que je sache. Celui qui agonise doit y être arrivé ce matin. Demain nous saurons tout cela.
Tous les yeux étaient fixés sur moi,avec cette expression de compassion muette que nous savons leur donner. Je me levai et demandai à Anton si M'foula était loin.
_ juste la grande forêt à traverser...la lampe est pleine de pétrole...
Cet homme lisait vraiment dans mon âme.
Armés de lances,nous nous mîmes en route,précédés d'un gamin qui tenait une vieille lampe_tempête dont la lumière falote éclairait faiblement notre piste. Nous traversâmes deux villages. Les gens que nous rencontrions et qui reconnaissaient Anton s'enquéraient du motif de ce voyage nocturne. Ils parlaient un baragouin d'espagnol et de pahouin mêlés.où revenait le mot <<françés>>  tout le monde se signait. Mais aussitôt qu'ils nous quittaient. Nos amis de rencontre oubliaient leur mine dramatique et nous lançaient un jovial <<Buenos tardes>> Notre piste pénétra dans la forêt.

Une Vie De Boy (En 1ére)Where stories live. Discover now