partie 2

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_déjà fatigué ? Me demanda Anton. C'est maintenant que nous nous mettons en route...
Notre piste sortit enfin de la forêt serpenta dans une lande ou les essessongos atteignaient la hauteur des arbres. Les roulements du tam_tam devinrent de plus en plus distincts. Nous débouchâmes dans une clairière. Le cri lugubre d'un hibou troubla l'un des silences intermittents qui succédaient aux battements sourds du tam_tam. Anton partit d'un grand éclat de rire dont l'écho se répercuta à plusieurs reprises parmi les géants de la forêt. Il abreuva l'oiseau nocturne d'un flot d'injures comme s'il se fût adressé à un homme.
_c'est le pauvre Pedro ! Dit il entre deux éclats de rire. Il est mort,le coquin,il Ya deux semaines. Il avait emmerder le prêtre que nous étions allés chercher pour le salut de son âme. sa femme lui avait même brûlé les ongles pour tenter de lui arraché sa conversion. Il n'y a rien eu à faire. Le bougre a tenu,il a crevé païen. Maintenant qu'il s'est transformé en hibou et qu'il crève de froid dans cette épaisse forêt,il n'y a que le prêtre qui puisse encore faire quelque chose. Si sa veuve se décide enfin à faire dire une messe...pauvre Pedro...
Je ne répondis rien à cette leçon de métempsycose en pleine nuit dans la forêt équatoriale. Nous contournâmes une brousse en feu et nous arrivâmes. En tout. M'foula était semblable aux villages que nous avions traversés,avec ses cases au toit de raphia et aux murs blanchis à la chaux. Disposées autour d'une cour souillée d'excréments d'animaux. La masse de l'ABA se détachait dans la nuit. Une animation inaccoutumée y régnait. Nous y pénétrâmes.
Le moribond était étendu sur un lit de bambou,les yeux hagards recroquevillé sur lui même comme une énorme antilope. Sa chemise était maculée de sang.
_ cette odeur nous rendra malades,dit quelqu'un.
Je n'avais jamais vu un homme agoniser. Celui qui était devant mes yeux était un homme qui souffrait et je ne le voyais nullement transfiguré par quelque lumière d'outre_ tombe. Il me semblait être encore assez capable d'énergie pour renoncer au grand voyage.
Il toussa. Du sang s'échappa de ses lèvres. Le gamin qui nous accompagnait posa la lampe à côté du moribond. Celui ci fit un effort sur humain pour se couvrir les yeux. J'eloignais la lampe, et je baissai la mèche.
L'homme était jeune. Je me pencher pour lui demander s'il avait besoin de quelque chose. Une odeur nauséabonde de putréfaction m'obligea à allumer une cigarette. Il se tourna vers moi. Au fur et à mesure qu'il me détaillait,Il semblait sortir de l'État comateux où nous l'avions trouvé. Il esquissa un faible sourire et toussa encore. Il allongea une main  tremblante qui vint caresser mon pantalon à la hauteur du genou.
_un français, un français... Haletait_il , du Cameroun sans doute?
J'acquiesçai en hochant la tête.
_je l'ai vu... Je l'ai reconnu mon frère, à ta gueule... De l'arki, je veut de l'arki...
Une femme me passa un gobelet d'une gnole sentant la fumée. Je la lui versai dans la bouche. C'était un connaisseur! Malgré sa souffrance, il le fit un clin d'œil.
Il semblait avoir repris ses forces. Avant qu'il ne m'appelât pour que je l'aide à s'assoir, il avait déjà commencé à se soulever sur son coude. Je passai mon bras autour de ses épaules et le tirait contre le mur où il s'adossa. Son regard atone étincela soudain. Il ne me quitta plus.
_ Mon frère, commença t_ il mon frère, que sommes nous? Que sont tous les nègres qu'on dit français ?...
À vrai dire,dans sa juvénile insouciance,je ne mettais jamais posé cette question. Je me sentis devenir stupide.
_ Tu vois, mon frère, continua_ t_ il, je suis fichu... Ils m'ont eu... _il me montrait son épaule. Je suis quand même heureux de crever loin d'eux... Ma mère me disait toujours que ma gourmandise me conduirait loin. Si j'avais pu prévoir qu'elle me conduirait au cimetière... Elle avait raison ma pauvre mère...
Un hoquet le secoua et il pencha la tête sur son épaule. Il se racla la gorge.
_ je suis du Cameroun mon frère. Je suis Maka... J'aurais sûrement fait de vieux os si j'étais rester au village...
Il se perdit dans une rêverie qui fut interrompue par une quinte de toux. Puis sa respiration redevint normale. Je l'aidait à s'allonger. Il ramena ses bras décharnés sur sa poitrine et les croisa. Il nous oublia dans la contemplation des nattes de raphia du tout noirci par la suie. Je remontait la mèche de la lampe dont la lumière devenait de plus en plus clignotante. Elle éclairait le bord du lit de bambou où gisait l'agonisant. Son ombre se projeta sur le mur lézardé de l'aba où couraient deux araignées. Leurs ombres démesurément agrandies ressemblaient a deux pieuvres dont les tentacules tombaient comme les branches d'un saule pleureur sur l'ombre simiesque de la tête du moribond.
Il fut pris de spasmes, tressaillit et expira. On l'enterra dans la nuit, on ne pouvait le garder jusqu'au lendemain. Il était une charogne avant d'être un cadavre.
J'appris qu'on l'avait découvert inanimé près de la frontière,dans la zone espagnole,on me remit un baluchon kaki.
_ y'en a été uno alumno,me dit il gravement celui qui l'avait trouver.
J'ouvris le paquet. J'y trouvais deux cahiers racornis, une brosse à dents. Un bout de crayon et un gros peigne indigène en ébène.
C'est ainsi que je connus le journal de Toundi. Il était écrit en ewondo,l'une des langues les plus parlées au Cameroun. Je me suis efforcé d'en rendre la richesse sans trahir le récit dans la traduction que j'en fis et qu'on va lire.

Une Vie De Boy (En 1ére)Where stories live. Discover now