Partie 13

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La matinée était fraîche. L'herbe était humide. On entendait le crépitement des palmiers qui s'égouttaient sur la tôle de la résidence. Dangan prolongeait son sommeil sous la brume immaculée de ses lendemains de grande pluie.
Rasé, pommadé, exubérant, le commandant surveillait le chargement du Pick _ up.
Pour la première fois depuis son arrivé à Dangan, il portait un pull_over marron. La sentinelle avait abandonné sa faction. Son large pied droit appuyait sur la pédale de la pompe pour gonfler les pneus arrière. Debout sur le pare _ choc avant, le chauffeur donnait un dernier coups de chiffon sur la glace. Il vint près de la sentinelle qui soutenait péniblement son genou des deux mains à chaque mouvement du gonflage. Le chauffeur donna un coups de marteau sur les pneus qui résonnérent comme la corde d'un arc bien tendu.
Quand tout fut prêt, le commandant consulta sa montre.
Il jeta un dernier coup d'œil à la résidence. Il m'aperçut.
_ Monte toi ! Me dit il nous partons en tournée.
_ Il fit claquer la portière et mit la voiture en marche. Je n'eus que le temps de sauter sur les valises. Nous traversâmes le centre commercial. Aucune âme ne semblait y vivre. Des équipes de manœuvres surpris saluaient à retardement comme s'ils n'en revenaient pas de voir le commandant déjà levé à cette heure.
Le commandant prit ensuite la route de la station agricole. L'ingénieur, tout de noir vêtu, nous attendait au pied de l'escalier. Il tenait un sac de voyage d'où dépassait une bouteille thermos. Il monta à côté du commandant. Il se pencha à la portière du côté de sa villa.
_ Qu'attend tu pour monter?
Cette question s'adressait à une ombre qu'on entendit bâiller sur la véranda.
_ Qu'est ce que c'est? Demanda le commandant.
_ Ma cuisinière boy, répondit l'ingénieur.
C'était Sophie. Elle semblait tomber de sommeil en descendant l'escalier. L'ingénieur braqua une torche électrique dans sa direction. Sophie se frotta les yeux et étouffa un juron.
Mon dieu, qu'elle était belle! Don teint acajou prenait des reflets cuivrés dans la lumière qui l'inondait. Elle ajusta ses sandales, puis fit quelques pas, indécise. Elle alla du côté de la portière où pendait le bras de l'ingénieur. Il lui montra l'arrière du Pick up . Elle haussa les sourcils et avança la lèvre inférieure dans une moue de dégoût. Mais elle abdiqua, posa don pied sur le pare choc arrière et me tendit la main.
_ Est elle montée ? Demanda le commandant.
_ Ça y est, répondis je.
Par la portière, l'ingénieur me tendit le sac. La voiture démarra. Sophie était assise à côté de moi sur une caisse à essence vide.
Elle se couvrit entièrement avec son pagne. On ne voyait qu'une natte épaisse à laquelle pendait un bout de fil noir qui barrait son front uni comme un tatouage. Elle regardait devant elle comme si elle ne voyait pas les arbres qui défilaient vertigineusement de chaque côté de la route. Le vent était froid, il sentait le tabac américain que l'ingénieur fumait dans la cabine.
Tout à coup nous fûmes projetés en l'air. Nous retombâmes sur la caisse de bois avec force fracas.
Cela tenaillait les tripes.
_ Merde alors ! Qu'est ce qu'elles ont... Qu'est-ce qu'elles ont de plus que moi? Gémissait Sophie.
La route était sortie de la ville.
Le pick up dévorait les premières villages. On voyait les indigènes drapés de pagnes multicolores faire un geste de surprise dès qu'ils apercevaient le petit drapeau tricolore. Parfois une foule sortait d'une case chapelle où un bout de rail en guise de cloche pendait à la véranda. Des petites filles toutes nues sortaient d'une porte entrebâillée et venaient s'accroupir en courant au pied des citronnelle de la route. Un violent coup de volant nous projeta presque par dessus bord.
_ Mon dieu, s'exclama Sophie, mais qu'est-ce qu'elles ont et que je n'ai pas? Elle se tourna vers moi. Deux grosses larmes coulaient sur ses joues. Je posai mon bras sur le sien. Elle se moucha avec son pagne.
_ Les manières de blancs, si c'est seulement pour entre eux , merde alors ! Mon derrière est aussi fragile que celui de leurs femmes qu'ils font monter dans la cabine...
Sophie renifla de nouveau. Elle ferma les yeux. Ses longs cils humides ne formaient plus qu'un petit toupet noir. À travers la fenêtre arrière de la cabine, l'œil vert de l'ingénieur rencontra le mien. Aussitôt, il tourna la tête.
Le pick up était sortit de la région copieusement arrosée par la pluie de la veille. Il cahotait maintenant sur ces chemins qui, ne sont ni des pistes ni des routes. C'était parfois une longue éclaircie en forêt où des tas de moellons témoignaient des travaux en cours.
La brousse repoussait entre les gros cailloux de ce qui était un semblant de chaussée. Les fruits des parasoliers la jonchaient. Une trépidation continue annonçait que nous traversions un marécage qu'on avait essayé de rendre consistant en y posant quelques piquets recouverts de latérite. Celle ci se transformait en une boue ocre comme une pâte de peinture. Le pick up hennissait, craquait, rugissait et émergeait de ces ravins difficiles pour, ensuite, escalader en trombe des collines à pic. À l'arrière de la voiture, nous étions pris dans une espèce de danse ondoyante où nos têtes dodelinaient comme celles des sommeilleux. Un cahot semblable à un hoquet nous souleva de la caisse pour mieux y écraser nos fesses.
Sophie ne se plaignit plus. Elle se taisait ses larmes avaient séché, laissant sur ses joues deux traces de couleur indéfinissable. Il commençait à faire chaud. Le Pick up venait de dépasser une énorme termitière sur laquelle on avait écrit gauchement au coaltar << 60 km>>. À tombeau ouvert, nous descendions une colline interminable. Le chemin semblait uni. On y circulait sans secousses comme à Dangan.
Au dessus de ma tête je m'aperçus que nous passions sous des arcs de palmes tressées. Nous arrivions à destination.
Le commandant ralentissait. Penché à la portière, il semblait émerveillé par cette propreté qu'on n'espérait plus rencontrer à plus de soixante kilomètres de brousse. Plus d'excavations, plus d'herbes, plus d'excréments d'animaux. Les tas d'immondices des rigoles avaient disparu. Tout avait été nettoyé. Cette propreté était trop nette pour ne pas être récente!

Une Vie De Boy (En 1ére)Unde poveștirile trăiesc. Descoperă acum