partie 11

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Le commandant, qui a sûrement besoin de la présence d'un indigène à l'arrière de son pic up, m'a dit de venir à la messe avec lui. Tous les indigènes, que nous depassions à toute allure, se découvraient fébrilement de notre passage. Le pic up du commandant est le seul à avoir un un pavillon tricolore.
Notre passage laissait des traces de poussière ocre dans l'atmosphère caniculaire de fin de saison sèche. Quand nous arrivâmes à la mission catholique Saint pierre de Dangan. La foule compacte des indigènes stationnait déjà autour de l'église. C'était une foule grouillante, multicolore où le blanc, le rouge et le vert tranchaient sur les peaux noires.
Un murmure la parcourut à la vue du commandant.
Je reconnus le son de Jésus, la petite cloche de la sacristie.
Tout cela était indissociable du souvenir du père Gilbert qu'on appelle maintenant... Le martyr, sans doute par ce qu'il est mort en Afrique.
Le père Vandermayer vint au _ devant du commandant. Il s'inclina devant lui avec cette grâce particulière aux ecclésiastiques que ne saurait imiter un profane. Le commandant tendit la main.
Devant eux, la statue de Saint pierre, qu'on aurait pris pour un nègre car les intempéries l'avaient rendu tout noir, était juchée sur un semblant de clocher et s'inclinait vers une chute certaine. D'autres voitures arrivèrent. Tous les blancs qui ont l'habitude de s'amuser au cercle européen semblait s'être donné rendez _ vous à ce quartier de dieu. Il y avait Gosier D'oiseau qui traînait aussi son brigadier nègre derrière sa voiture. Mme Salvain avait caché ses mollets de coq dans un pantalon de toile qui faisait encore plus ressortir son gros derrière. Elle vint encore au commandant, les bras tendu, et sursauta à la scène des baisers sur les poignets. L'ingénieur agricole avait amener avec lui Ondoua, le joueur de Tam _ Tam, qui était tout couvert de poussière. On put voir ensuite les arrivées du docteur _ Toujours très fier de ses galons de capitaine _ et de sa femme, du blanc qui désinfecte Dangan au D.T.T, des demoiselles Dubois, deux filles énormes avec des nattes et des chapeaux de Cow boy, et enfin de Mme de Moreau, la femme du régisseur de prison, accompagnée de quelques Grecques venues exhiber leurs robes de soie. Tous ces blancs se tenaient en cercle autour du commandant et du père Vandermayer. On sonna encore Jésus. L'unique porte de la nef fut prise d'assaut par les noirs qui stationnaient dans la cour. Quelques casques sautèrent dans la bousculade. On entendait les cris des femmes et des enfants...
Précédés du père Vandermayer, les blancs entrèrent dans la sacristie. Dans l'église Saint pierre de Dangan, les blancs ont leurs places dans le transept, à côté de l'autel. C'est là qu'ils suivent la messe, confortablement assis dans des fauteuils de rotin recouverts de coussins de velours. Hommes et femmes se coudoient. Mme Salvain était assis à côté du commandant tandis qu'au deuxième rang Gosier D'oiseau et l'ingénieur agricole se penchaient avec un ensemble parfait vers les deux grosses filles. Derrière eux, le docteur remontait de temps en temps ses galons dorés qui descendaient le long de ses épaulettes trop longues. Sa femme, bien qu'elle fit semblant d'oublier ciel et terre dans la lecture de son missel, suivait du coin de l'œil les manigances de Gosier D'oiseau et de l'ingénieur avec les demoiselles Dubois. Elle relevait parfois la tête pour voir où en étaient le commandant et Mme Salvain. Le docteur, quand il ne remontait pas ses galons, s'évertuait, par gestes excédés, à attraper une mouche qui tournoyait autour de ses oreilles écarlates. Le nef de l'église, divisée en deux rangées, est uniquement réservée aux noirs. Là, assis sur des troncs d'arbre en guise de bancs, ils sont étroitement surveillés par des catéchistes prêt à servir brutalement à la moindre inattention des fidèles. Ces serviteurs de dieu, armés de chicote, font les cent pas dans l'allée centrale qui sépare hommes et femmes. Enfin, le père Vandermayer, superbe avec sa chasuble étincelante, précédé  de quatre enfants de chœur noirs en rouge et blanc, fit son entré.
Un cloche tinta. La messe commençait. Les catéchistes s'affairaient entre les deux rangées de la nef. Ils dirigeaient la ballet en donnant de grands coups de paume sur leur livre de prières. Les fidèles indigènes se levaient, s'agenouillaient, se relevaient, s'asseyaient pour se relever à la cadence du bruit sourd des paumes. Hommes et femmes se tournaient ostensiblement le dos pour être sûrs de ne pouvoir se regarder.
Les catéchistes guettaient le moindre clin d'œil. Là bas, Gosier _ d'oiseau profitait de l'élévation pour presser la main de sa voisine, tandis que les jambes de Mme Salvain se rapprochaient imperceptiblement de celles du commandant.
Le père Vandermayer chanta enfin l'lte missa est. Tous les blancs se levèrent et s'en furent par la sacristie. Dans la nef, les catéchistes fermaient la porte pour obliger les nègres à écouter le sermon. Le cerbère d'ébène qui se tenait près de la porte me laissa sortir quand j'eus décliné mon titre de boy du commandant. Là haut, sur la chaire, le père Vandermayer, dans son mauvais Ndjem, commençait innocemment à truffer son sermon d'obscénités.

Une Vie De Boy (En 1ére)Where stories live. Discover now