parti 6

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Le lendemain,la nouvelle parvint à mon père. Je redoutais sa colère... Je l'expliquait au prêtre toujours en gesticulant.
Cela l'amusait beaucoup. Il me tapota amicalement l'épaule.
Je me sentis protégé.
Mon père vint l'après_midi. Il se borna à me dire que j'étais et resterais son fils. C'est à dire sa goutte de liquide... Qu'il ne m'en voulait pas et que si je rentrais au bercail, tout serait oublié. Je savais ce que signifiait ce beau discours devant le blanc. Je lui tirai la langue. Son œil devint mauvais comme d'habitude lorsqu'il se préparait à <<m'apprendre à vivre>>. Mais, avec le père Gilbert, je ne craignais rien. Son regard semblait fasciner mon père qui baissa la tête et s'éloigna tout penaud.
Ma mère vint me voir pendant la nuit. Elle pleurait. Nous pleurâmes ensemble. Elle le dit que j'avais bien fait de quitter la case paternelle, que mon père ne m'aimait pas comme un père devrait aimer son fils, qu'elle me bénissait et que si un jour je tombais malade je n'aurais qu'a me baigner dans une rivière pour être guéri...
Le père Gilbert me donna une culotte kaki et un tricot rouge qui firent l'admiration de tous les gamins de Fia qui vinrent demander au prêtre de les emmener avec lui.
Deux jours plus tard, le père Gilbert me prit sur sa motocyclette dont le bruit semait la panique dans tous les villages que nous traversions. Sa tournée avait duré deux semaines. Nous rentrions à la mission catholique Saint_Pierre de Dangan. J'étais heureux, la vitesse me grisait.
J'allais connaître la ville et les blancs, et vivre comme eux. Je me surpris à me comparer à ces perroquets que nous attirions au village avec des grains de maïs et qui restaient prisonniers de leur gourmandise. Ma mère disait souvent en riant:<<Toundi, ta gourmandise te conduira loin...>>
Mes parents sont morts. Je ne suis jamais retourné au village.
Maintenant que je suis à la mission catholique Saint Pierre de Dangan, je me réveille tous les matins à cinq heures, et même plus tôt parfois quand tous les prêtres sont à la mission.
Je sonne Jésus la petite cloche suspendue à l'entrée de la sacristie, puis j'attends le premier prêtre pour le messe.
Il m'arrive de servir trois ou quatre messes par jour. La peau de mes genoux est devenue aussi dure que celle d'un crocodile. Maintenant j'ai l'impression de m'agenouiller sur des coussins.
J'aime surtout la distribution de la communion le dimanche. Tous les fidèles se présentent à la sainte table, yeux fermés, bouche ouverte, langue tendue, comme s'ils faisaient une grimace.
Les blancs ont leur sainte table à part. Ils n'ont pas de belles dents.
J'aime caresser les jeunes  filles blanches sous le menton avec la patène que je leur présente lorsque le prêtre leur introduit l'hostie dans la bouche.
C'est le boy d'un prêtre Yaoundé qui m'a appris le truc.
C'est par ce moyen que nous pouvons les caresser...
Une vieille femme de la sixa nous prépare à manger. Nous préférons les reliefs du repas des prêtres. C'est là que nous pouvons trouver des morceaux de viande.
Je dois ce que je suis devenu au père Gilbert. Je l'aime beaucoup, mon bienfaiteur. C'est un homme gai qui lorsque j'étais petit, me considérait comme un petit animal familier. Il aimait tirer mes oreilles et, pendant ma longue éducation, il s'est beaucoup amusé de mes émerveillements.
Il me présente à tous les blancs qui viennent à la mission comme son chef-d'œuvre. Je suis son boy, un boy qui sait lire et écrire, servir la messe, dresser le couvert, balayer sa chambre, faire son lit... Je ne gagne pas d'argent. De temps en temps, le prêtre me fait cadeau d'une vieille chemise ou d'un vieux pantalon.
Le père Gilbert m'a connu nu comme un ver, il m'a appris à lire et à écrire... Rien ne vaut cette richesse, bien que je sache maintenant ce que c'est que d'être mal habillé...
Aujourd'hui le père vandermayer est rentré de le brousse. Il a amené cinq femmes_ chrétiennes, parait il _ qu'il a enlever à leur mari polygame. La sixa compte cinq pensionnaires de plus. Si elles savaient les travaux qui les attendent ici, elles seraient restées avec leur mari.
Le père Vandermayer est l'adjoint du père Gilbert. Il a la plus belle voix de la mission. C'est lui qui célèbre la messe aux grandes fêtes. C'est tout de même un drôle de type, ce père Vandermayer... Il n'admet pas qu'un autre que lui ramasse l'argent le dimanche quand ce n'est pas lui qui dit la grand messe. Un jour où je l'avais fait à sa place, il m'avait fait venir dans sa chambre où il m'avait déshabiller pour me fouillé. Il m'avait flanqué d'un catéchiste pendant toute la journée pour le cas où j'aurais avalé des pièces de monnaie...
Il est censeur des boys et des fidèles de la paroisse. Il n'a jamais réussi à m'avoir. Je ne pourrais jamais supporter ce qu'il fait à ceux dont il sanctionne les actes. Il a la manie de battre les chrétiennes adultères, les indigènes bien sûr... Il les fait mettre nues dans son bureau, tout en répétant dans un mauvais Ndjem : << Quand tu as baisé, as tu eu honte devant dieu? >> le dimanche après la messe est devenue une terrible journée pour les fidèles dont le père Vandermayer est le directeur de conscience...
J'ai vu une très belle fille à la sainte table des noirs. Je lui ai caresser le dessous du menton avec la patène comme nous le faisons aux petites blanches. Elle a ouvert un œil et l'a refermer aussitôt. Il faut absolument qu'elle revienne communier...
Le père Vandermayer a eu un excès de paludisme. Il a crié des obscénités toute la nuit. Le père Gilbert nous a interdit de rôder autour de sa chambre.

Une Vie De Boy (En 1ére)Where stories live. Discover now