HS 1 - Réalités

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Environs de Sevenoaks, Grande-Bretagne, 25 décembre 1992

Matt grogna. La lumière était trop forte et la nuit trop courte. Il se retourna dans le duvet, ce qui eut pour premier effet de réveiller des courbatures massives de la veille et, en bonus, de le faire tomber du matelas. Comme il était posé à même le sol, les dommages furent plus pour son amour-propre que pour son anatomie. Ce qui était heureux : cette dernière avait pas mal souffert la veille.

Une course-poursuite dans les tunnels du métro, un concert géant, une conspiration extra-terrestre et des tueurs en civil, sur fond de guerre mondiale ! Ah, il s'en souviendrait de son Noël 1992 !

Après quelques secondes de contemplation des brins d'une moquette épaisse, il lâcha un méchant soupir et abandonna l'idée de grappiller quelques minutes de sommeil en plus. Il se redressa sur sa couche et regarda alentours. L'endroit était une vaste chambre, à l'ameublement impersonnel, mais plutôt cossu. Quelques grognements venus d'un lit l'informa que Sync roupillait toujours. La grande Américaine avait toujours eu le sommeil lourd, même au milieu des pires bombardements. Liam dormait aussi, beaucoup plus discrètement, enroulé dans son duvet sur le deuxième matelas de la pièce ; seule Alya manquait à l'appel.

Matt contempla un instant son uniforme de la Sécurité civile ; il n'avait même pas pris le temps de l'enlever avant de se coucher, assommé par la fatigue, et il était encore couvert de poussière, de crasse et... de sang. Pas le sien. Enfin, pas en majorité. Il secoua la tête, comme pour chasser les images de la veille.

Il avait besoin d'une clope. Évidemment, il avait grillé toute sa ration, ainsi que le paquet acheté au marché noir. Cela, plus que toute autre raison, le poussa à se relever, à enfiler ses chaussures et à sortir de la chambre d'un pas alourdi par la fatigue et les douleurs musculaires.

Si la lumière extérieure dans la chambre avait été filtrée par des stores à lamelle, il n'en était pas de même dans le salon où il déboula. Le jour reflété par la fine couche de neige lui vrilla le cerveau. Il dut atteindre quelques longues secondes, presque haletant, pour s'habituer à la clarté de la pièce : un salon dans lequel on aurait pu mettre deux fois l'appartement de ses parents. À l'époque où il avait encore un appartement. Et des parents.

Il reconnut une silhouette assise sur un immense canapé :

— Hey, Alya !

La jeune fille ne broncha pas. Ses traits comme figés par les images projetées sur le grand téléviseur qui occupait le centre de la pièce. Matt s'approcha ; il reconnut le présentateur-vedette de la BBC, qui ne portait pas son uniforme habituel. L'habillage était aussi très différent, avec des bandeaux de couleur qui défilaient. Rien à voir avec la sobriété des journaux télévisés habituels. Les yeux encore douloureux, il se concentra pour lire les titres qui défilaient : intervention américaine en Somalie, bénédiction papale, vœux de la... de la Reine ? Et puis le Pape, il ne s'appelait pas Gregory quelque chose ?

Et puis les images de Berlin, la fête à la Porte de Brandebourg. Cette même Porte de Brandebourg atomisée deux mois plus tôt...

Matt regarda Alya. Des larmes coulaient sur son visage.

***

La lumière commençait à décliner quand Florianne émergea enfin de la chambre. Vêtue d'un simple jogging et d'un t-shirt, elle avait encore les traits tirés et il lui fallut plusieurs secondes pour percuter que les sept personnes autour de la grande table du salon la regardaient fixement.

— Euh, hello ?

— Assieds-toi, lui dit Arel, le guitariste de Salamander, ça va être long...

Progressions - Échos de l'Arbre-MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant