Voleur

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Son cœur battait la chamade, tressautait à un rythme effréné dans sa cage thoracique compressées par l'angoisse.

Il déposa un pied hesitant sur la première marche. À son plus grand soulagement, elle ne grinça pas. Il attendit quelques secondes, puis continua à avancer. Ses pas, peu assurés, le menaient lentement vers sa destination.

Là. Juste devant lui, la porte qu'il devait ouvrir sans faire de bruit. Il inspira, garda l'air bloqué dans ses poumons et attrapa la poignée. Il souffla, relâcha l'air. Il ferma les yeux et recommença. Inspirer, se concentrer, tenter d'abaisser la poignée.

Elle résista, acceptant de se baisser mais sans permettre d'ouvrir la porte. Il s'énerva, oubliant un instant le bruit qu'il faisait. Il s'acharna en vain avant d'arrêter et pester. Il fourra sa main dans sa poche, fouilla un petit temps puis en ressortit une barre de fer.

Il jeta un coup d'œil derrière lui, tourna la tête vers sa gauche mais ne perçut rien d'anormal. Il y avait bien cette vieille femme aux cheveux ternes qui aurait pu l'inquiéter, une témoin potentielle... Néanmoins elle n'avait pas l'air dangereuse.

Il ne se préoccupa pas non plus de cet homme, emmitouflé dans un gros manteau de laine, marchant d'un air pressé. Il n'a pas eu le temps de détailler mon visage, se rassura l'individu. Surtout avec ce brouillard, grossissant d'heure en heure. Il s'épaississait, se faisait plus dense. Il sembla prendre vie à certains moments, tournoyant, se mouvant dans l'air glacé.

L'homme frissona, chercha encore à percer la noirceur du nuage ombrageux. En vain. Le brouillard cachait tout. Le jeune homme s'imagina tout ce qu'il pouvait dissimuler et ses cheveux se hérissèrent sur sa nuque. Il frissonait rien que de penser à ces horreurs cachées au loin. Et si, au détour d'une rue, en ce moment avait lieu un massacre ? Et si l'une ou l'autre atrocités se produisaient, juste sous son nez sans qu'il ne le sache ? Et si...?

Les jambes en coton, il pivota et fixa à nouveau la porte.
Il enfonça, tremblant, l'objet dans la serrure, tourna la barre, se concentra. Enfin, avec un clac sonore, le verrou céda.

L'homme en aurait pleuré de soulagement, mais il n'avait pas le temps. Il fit pivoter la porte, se crispant quand elle se mit à grincer. Il pesta cependant continua, ignorant le bruit aigu.

Il s'engouffra par l'entrée et referma derrière lui. Une odeur appétissante vint chatouiller ses papilles, la chaleur de l'endroit le fit frissonner de plaisir. Il ferma les yeux, savourant à l'avance sa victoire.

Allez Ricky, réveille toi, t'as encore du boulot ! s'intima-t-il à lui-même. Il marcha dans l'atelier, évita une table pleine de farine pour se diriger vers une seconde plus large et surtout, plus remplie.

Ses mains se refermèrent sur une boule de pain encore chaude, à peine sortie du four. Il se brûla mais ignora la douleur dérisoire. Il tenait de la nourriture entre les mains ! Enfin ! Et puis... Pas n'importe laquelle.

Combien de fois n'avait-il pas entendu les mérites de ce pain exceptionnel, vanté par tous les hommes les plus riches du coin. Il avait rêvé de cette saveur que le prince en personne avait demandé à sa table. Il s'était imaginé la taille de ce pain qui ravissait les palais des grands de ce monde. Il le tenait à présent, lui, Rickon, petit mendiant insignifiant. Prendre tous ces risques semblait justifié d'après l'odeur envoûtante que dégageait le saint graal, d'après la croûte dure et moelleuse à la fois, croustillante et agréable en bouche.

Un sourire de satisfaction commença à s'étaler sur ses lèvres mais il disparut aussi vite qu'il était apparu.

Des bruits de pas vinrent affoler sa respiration. Ils se rapprochaient, se faisaient plus forts et menaçants.

Sans réfléchir, Rickon se jeta sous la table, le pain sacré serré contre son ventre.

-An'! An'! Où c'que t'as mis la dernière fournée ? lança une voix rauque que le voleur identifia comme celle du boulanger.

Quelques sons aigus de bottes claquant contre le carrelage plus tard, une femme répondit :
-Sur la table là ! Ouvre les yeux un peu !

Le boulanger grogna, le cœur de Rickon s'emballa. Il avait l'impression que son organe bondissait jusque dans sa gorge, où il faisait un bruit monstre, puis redescendait jusqu'en bas de son ventre. Il bondissait, trop loin, trop vite, trop fort.

Et trop bruyamment !

Il aurait fallu être sourd pour ne pas l'entendre. Le garçon retenait sa respiration, ce qui n'empêchait pas son cœur de hurler, ni le sang de battre à ses tempes.

-Un... Il en manque un ! hurla le boulanger.

Rickon sursauta et en lâcha sa prise par terre. Le son attira le regard du second qui se pencha, tourna ses yeux vers le jeune homme et rugit :
-Je vais te faire morfler ! On ne vole pas mon trésor, petit merdeux. J'ai travaillé dur pour ce résultat ! Oh tu vas prendre cher toi !

Il saisit son bras, le tira hors de sa cachette, le jeta au sol. Le garçon roula par terre et s'écrasa douloureusement sur le carrelage froid. Il gémit et n'eut pas le temps de se relever avant que les coups ne pleuvent.

Des hématomes sur les jambes, du sang sur le ventre, des plaies dans le dos, les lèvres ouvertes. La douleur dans tout son être. Ses membres tremblaient. Il transpirait. Il souffrait.

Frappe, frappe,
Sur le dos meurtri.
Cogne, cogne,
Sur le visage rougi.
Tape, tape,
Dans les côtes brisées.
Cogne, cogne,
Sans pitié.
Frappe, frappe,
Ce petit voleur.
Cogne, cogne,
Cet enfant de malheur.

Rickon n'était plus capable de dire quelle partie de son corps le faisait souffrir. Il n'était plus non plus capable de penser, peinait à respirer.

Pulse, pulse,
Dans ses artères.
Vite, vite,
Il lui faut de l'air.
Saute, saute,
Cœur meurtri.
Vite, vite,
Garde le en vie.

Rickon prit appui sur ses avants bras, souleva son buste en tendit le cou en avant. Sa tête se rapprocha du pain, du petit pain tant convoité, tombé à terre. Il grimaça et se laissa tomber en avant. Ses lèvres heurtèrent le sol. Sa bouche rencontra un obstacle. Il l'ouvrit, lutta pour avancer encore un peu.

Ses dents se refermèrent sur la croûte. Il la mordit, la sentit diffuser sa chaleur sur sa langue. La mie, moelleuse fondait dans sa bouche. Ses sens exaltaient.

L'odorat, le goût, tout se mélangeait dans cette explosion de douceur, de saveurs exquises. Il savourait ces goûts nouveaux, revigorants.

Alors, avec un soupir d'aise, il cessa de se battre, lutter pour la vie. Il laissa la douleur s'effacer pour laisser la place à quelque chose de plus grand, plus impressionnant, plus concret. La mort.

La mort, certes, mais une mort apaisée. Rickon ferma les yeux de délice malgré les circonstances et se laissa sombrer emmenant avec lui ce goût exquis ancré à jamais dans son palais.

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Hello!
Voici une petite nouvelle écrite dans le cadre du concours des 24 plumes :)
J'espère qu'il vous plaira
Bisous,
Dream

Quand ma plume s'égareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant