Moi, Nain mal aimé

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Accoudé dans la poussière du sol sale, je fixe de mes yeux bruns la pointe de son épée dirigée vers ma gorge.

Il me reste exactement deux secondes pour sauver ma vie, éviter la lame qui s'apprête à s'enfoncer dans ma gorge.

Or, je n'ai pas peur. La mine effrayée que j'affiche n'est qu'une image. Je veux lui faire croire que je suis faible... Mais s'il savait ! S'il savait à quel point j'étais meilleur bretteur que lui.

Il ne me croirait pas. Parce qu'il est un elfe prétentieux et ne voit en moi qu'un nain. Un simple nain, censé, comme son peuple, être petit, gros, lent, et incapable de manier une arme correctement.

Mais je suis la honte de mon peuple pour ma plus grande fierté. Oh oui, fierté. Car si je suis la honte de ce peuple rondouillard et grincheux, ça signifie que je suis différent.

Je suis plus grand que les autres. Plus vif, moins gras. Plus intelligent, moins ronchon. Plus doué à l'épée, moins alcoolique. Plus ouvert aux autres espèces, moins enfermé dans la montagne.

Enfin, tout ça pour dire que je vais gagner ce duel contre cet elfe.

La pointe acérée de sa lame s'enfonce légèrement dans la peau de mon cou exposé à toutes les attaques possibles. Ce serait une honte pour moi de me protéger ! Je me bats sans armure, pas besoin de cette chose qui vous ralentit et pèse si lourd.

Mon meilleur atout est ma vitesse, jamais je ne prendrais le risque de la perdre !

Je grimace de douleur, il va continuer à percer mon cou. Il ne me reste plus qu'une seconde à présent pour sauver ma vie.

Avec un grognement je me redresse brusquement. La lame pointue rentre plus profondément en moi. La douleur m'envahit, plus forte que ce que j'avais prévu.

Elle engloutit tout. Elle s'empare de mon corps entier, brûlante et dévastatrice. Elle pique ma gorge, se dirige vers mon ventre. Elle me brûle, m'oblige à ouvrir mes lèvres pour hurler.

Elle s'ancre en moi, ne veut pas partir. Elle m'aveugle, m'empêche de rester conscient du monde qui m'entoure. Mais je dois me réveiller ! Continuer mon geste, sauver ma vie à laquelle je tiens tant !

Je m'étouffe en essayant de tousser. Un crachat de sang sort de ma bouche. Le goût âcre du liquide poisseux reste sur ma langue, il a au moins le mérite de me ramener la vue.

Je vois le regard abasourdi de l'elfe me fixer en papillonant de ses yeux bleus. Il ne s'attendait pas à ça.

Tiens, on est deux. Je ne pensais pas que ma douleur serait si vive, il ne me croyait pas assez fou pour m'embrocher moi même.

Mais je viens de reprendre mes esprits, lui reste choqué. J'attrape à pleine main la lame et la repousse. Je la  sors de ma gorge et la jette au loin.

Avant d'être à nouveau submergé par la douleur, j'ai le temps de me relever. Je tiens difficilement sur mes jambes tremblantes, mais suis debout quand même.

Lui, est à genoux devant moi, il vient de se redresser après que je ne l'ai fait tomber à plat ventre en me relevant.

Il pose une main sur le sol pour s'aider à se remettre debout. Je ne lui en laisse pas le temps.

Un coup de botte entre les deux yeux suffit à le faire chanceler. Il retombe assis. Sentant ma tête tourner, je me dépêche de lui sauter dessus. Je multiplie les coups de pied, de poing, je lui crache du sang à la figure.

L'énergie du désespoir me permet de rester sur mes deux jambes solides. Combien de temps me portera-t-elle ? Assez pour me faire soigner ? Pas sûr. L'épée avait le mérite d'empêcher l'écoulement du sang qui se fait à présent abondant.

Mon ennemi est le moindre de mes soucis pour le moment, recroquevillé sur le sol, il me fait même de la peine. Que m'a-t-il fait pour mériter ça ?

Ah oui, ça me revient. Il m'a transpercé la gorge sous prétexte qu'il n'aimait pas les gens de ma race. Raciste d'elfe !

Je me baladais tranquillement dans la forêt sombre, à la recherche d'une nouvelle cible pour m'exercer au tir à l'arc. Pourquoi le tir à l'arc ? Pour me faire bien voir des elfes justement.

Parce que ces créatures là ne jure que par leur efficacité et leur puissance. Parce que je suis amoureux de la fille du roi des elfes.

Oui, on peut dire que j'ai une vie difficile. Rejeté par mon peuple, pas accepté par les elfes, effrayé par les trolls, je n'ai nulle part où aller et suis amoureux d'une elfe ! Qui elle, n'ose pas l'avouer car son peuple ne m'accepterait pas.

Pourtant je fais des efforts pour que les elfes m'apprécient ! La preuve, j'étais en​ train de m'exercer comme je le disais plus tôt, au tir à l'arc.

Mais cet abruti d'elfe m'a sauté dessus, me traitant de voleur (il pensait impossible qu'un nain ait acheté cette arme en bois si chère à leurs yeux) et disant que mon peuple n'avait rien n'a faire dans cette forêt (alors qu'il faut préciser que aucune espèce n'a de territoire défini. Nous vivons librement sur les terres que nous voulons, disons simplement que les nains ont toujours vécu dans la montagne et que les autres ont considéré que c'était leur territoire.).

Bref, ceci pour vous expliquer que cet elfe m'a transpercé de sa lame. Que ça fait mal. Que ce n'est même pas justifié. Que j'allais mourir bêtement parce que au lieu de faire comme tout le monde et rouler sur le côté, j'ai voulu tenter une technique qui visiblement ne marche pas, retirer l'épée déjà enfoncée dans ma gorge.

Après que j'ai frappé l'elfe, la douleur a jailli d'un coup. Comme si elle avait attendu que l'autre soit incapable de bouger. L'adrénaline m'a quitté. Alors elle, la douleur est apparue. Sans signe avant-coureur. Elle m'a pris au dépourvu. M'a fait me tordre au sol, a empêcher mes jambes de me soutenir plus longtemps. Elle ne m'a laissé aucune chance.

Je n'ai eu que le temps de m'effondrer sur le sol, faisant voler la poussière autour de moi. Je n'ai eu que le temps de mourir dans cette forêt sombre qui était mon refuge. L'endroit où je m'exerçait au tir à l'arc, l'endroit où j'avais une chance de me faire accepter par celle que j'aimais.

Disons qu'au moins l'elfe aura des séquelles à vie. J'ai eu le temps de bien le blesser et sa sœur ne lui pardonnera pas. Sa sœur m'aimes
sans l'avouer.

Il perd sa sœur et de la mobilité je perds ma vie. Un mal pour un bien.

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Juju

Quand ma plume s'égareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant