la légende des étoiles

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Les crépitement d'un feu de bois résonnent dans la clairière et réchauffent les cœurs plongés dans une ambiance glaciale et morose.

La voix d'un vieil homme s'éleve, se mêle au son des flammes dévorantes, et ses mots d'une autre époque résonnent plus vrais que jamais.

« Un prophète a un jour observé les étoiles, alors que personne avant lui n'avait ne serait-ce que levé les yeux vers le ciel. Savait-on seulement qu'une coûte céleste s'élevait au dessus de nos têtes ? Non. Non, il n'y avait que notre terre, notre besoin de gloire, notre argent et nos conflits.

« Notre pays était en guerre depuis des années, personne n'avait le temps de regarder ailleurs que vers le champ de bataille ! Le prophète a montré les étoiles à tout le peuple d'Ozandar. Ils se sont tous permis de rêver pendant quelques temps, ils ont arrêté de penser à la guerre et ont contemplé le ciel. La beauté de l'instant n'avait d'égale que l'infinité de ce ciel tout juste découvert.»

Astar, trop âgé pour parler sans s'essouffler, s'interromp un instant, les sourcils froncés, et reprend avec gravité :

« En temps de guerre, rien n'importe à part le sang. Il faut survivre et c'est tout. Tuer ou périr, vaincre ou mourir. Regarder les étoiles paraissaient absurde à tous les grands guerriers, ceux qui plantent leur lame avec plaisir dans la chair d'autrui. Certains se sont donc moqués, d'autres, en cachette, se sont mis à rêver des étoiles...

« Le lendemain de la découverte du ciel, un homme est arrivé, un combattant et un tacticien hors-pair qui a mis fin à la guerre. Après cette victoire, le peuple d'Ozandar a enfin pu se consacrer à l'art et l'étude, notamment celle de l'Astrologie. Les étoiles étaient devenues symbole d'une bonne nouvelle, de liberté. »

La voix se mit à trembler, chargée d'une émotion que seul son propriétaire peut comprendre. Les souvenirs d'un idéal de liberté lui nouent la gorge, les larmes se pressent à ses yeux. Mais il se reprend. Il doit continuer.

« Avant de disparaître, notre prophète a annoncé que lorsque le désespoir nous éreintrait à nouveau, les nuits les plus étoilées, offertes à la contemplation d'un œil attentif et d'un cœur gonflé d'espoir, seraient annonciatrices d'une naissance bénie.

« Alors retenez ceci, transmettez ce message à vos enfants. Il faut qu'ils ne cessent de s'intéresser au ciel. Il faut que chaque nuit, qu'importe la situation, qu'importe les conditions, un enfant d'Ozandar ait ses yeux tournés vers les astres célestes. Alors, sous son regard candide et confiant, pourra naître le sauveur que tous attendent.

« Cependant, s'ils cessent d'y croire, s'ils ne sont plus capable de rêver, d'espérer et d'apprendre, la naissance marquera la fin de notre peuple. Car il ne s'agira ni d'un sauveur, ni d'une nouvelle menace. Il s'agira de l'arrivée du Mal en personne, de l'ours vengeur que nous redoutons depuis des siècles.

« Dans les larmes et la douleur, l'éclat du Mal prendra de l'ampleur. Les étoiles, salvatrices, seront nos seules rédemptrices.»

Ses derniers mots ne sont qu'un murmure, un souffle à peine perceptible. Astar se raccroche à la vie et aux mains fermes qui l'empêchent de chuter. Il sait que son temps est venu, ce qu'il ignore, en revanche, c'est si après lui, d'autres transmettront la légende des étoiles.

Il n'a cessé d'y croire.

Il a souffert de la famine, combattu des armées entières et survécu à des incendies dévastateurs, mais jamais il n'a cessé de lever la tête vers le ciel.

Ses yeux brillent, emplis de la lumière dorée des étoiles, à force de les avoir admirée. Leur lueur faiblit, la teinte perd de son éclat. Puis il ne reste que des pupilles sans vie et une âme morte qui s'élève rejoindre ses pairs.

Elle monte, elle danse dans le ciel noir. Elle s'envole, aussi légère d'une plume et se dépose sur la lune Célestias, royaume des morts. De là, Astar veille sur les siens.

Et sous ses yeux dorés commence le massacre.

L'ours vengeur déferle avec sa vague haineuse et détruit le peuple d'Ozandar. Les cris des femmes désespérées par la mort de leur progéniture remontent jusqu'à Célestias. Les hurlements de douleur des hommes torturés, décapités, crucifiés, percent le cœur d'Astar de mille épines brûlantes. Elles s'enfoncent en lui et le détruisent.

Son âme se tort dans la souffrance de son peuple, et ses lamentations ne reflètent qu'un pâle écho du déchirement que provoque cette vision du chaos. Si son cœur a cessé de battre quelques instants auparavant, sur la terre de ses ancêtres, son âme, elle, a péri devant cette désolation.

Astar n'avait cessé de lever les yeux vers les étoiles. Mais jamais il n'aurait cru que les baisser vers son peuple serait aussi douloureux, car jamais il ne s'était douté qu'il était le dernier croyant sur Ozandar.

La légende des étoiles est morte lorsque son souffle de vie s'est éteint.

L'âme d'Astar est morte, lorsque la légende des étoiles a disparu d'Ozandar.

L'un était l'autre. L'autre vivait pour l'un. L'un est mort, et sa chute a précipité le monde dans le chaos.

Les étoiles s'éteignent, la pénombre vainc la lumière.

Les têtes se baissent, jamais plus les humains ne prendront la peine de contempler un ciel qui ne leur a amené que souffrance et désespoir.

Ils marcheront tête baissée. À tout jamais.

Quand ma plume s'égareOù les histoires vivent. Découvrez maintenant