Quand ma plume s'égare

Pâtisseries

L'agitation dans la salle de cuisine du château était grande. Les ordres lancés résonnaient partout et étaient immédiatement exécutés par tous les apprentis cuisiniers.

Le tout faisait un boucan énorme. Le bruit des fouets raclant les bords de plats en verre, les frigos qui tournaient à plein régime, les fours qui sonnaient à la fin de chaque préparations, et elles étaient nombreuses, emplissaient Hadrien de joie et d'excitation.

C'était cet homme qui dirigeait les opérations du jour. Il avait eu l'honneur en arrivant ce matin aux cuisines de découvrir que cette année cette chance lui revenait. Aussitôt il avait couru chercher ses cahiers et ses croquis ainsi que les meilleures recettes qu'il avait inventées.

Mais il était énormément stressé. Il devait proposer à l'empereur le plus grand buffet de pâtisserie qu'il avait jamais vu de sa vie. Chaque année le défi devenait plus grand. C'était la vingt-quatrième fois que le concours avait lieu et l'empereur étant âgé de maintenant quatre-vingt-trois ans, il avait beaucoup voyagé et vu de grandes choses. Hadrien se demandait s'il allait réussir à faire mieux.

Le pire pour lui était que le chef n'avait pas le droit de cuisiner. Il était obligé d'assister aux erreurs que commettaient ses apprentis sans pouvoir les réparer lui-même. Il cru devenir fou lorsque Loup, un jeune novice avait reconnu avoir confondu le sucre avec du sel.

—Mais tu fais exprès ce n'est pas possible ma parole !

Le garçon gêné se tordit les doigts sans rien trouver à répondre. Il venait de gâcher la plus grande des préparations du jour : la religieuse, une préparation que son chef avait inventée lui-même la veille.

—Mais fais quelque chose, agis, répare ton erreur ! lui hurla Hadrien à bout de nerfs.

Aussitôt Loup jeta sa pâte à chou et se précipita vers le garde-manger. Il sentit que le regard de Swann pesait sur lui. Elle était la gagnante du concours pour l'instant et trois chefs avaient déjà essayé de réaliser un buffet plus grand et meilleur sans réussir.

Elle observait l'apprenti les bras croisés, plutôt contente de son erreur. Erreur... ou pas, songea-t-elle ravie de son coup. Elle se promit de féliciter son acolyte qui avait eu cette brillante idée d'inverser les pots de sel et de sucre.

Loup qui était persuadé avant de goûter sa préparation qu'il avait bien pris le sucre, scruta Swann. Il comprit en un instant. Mais il savait que son chef ne le croirait pas et penserait qu'il voulait juste se trouver une excuse. Et puis, le jeune homme était surtout trop timide : si Hadrien venait à le croire, Swann et l'empereur ainsi que beaucoup d'autres lui parleraient, cette accusation porterait l'attention sur lui.

Alors il ne dit rien. Il prit juste le pot noté de l'étiquette sel en priant pour que sa déduction vis à vis de Swann se révèle exacte.

Hadrien passa faire un tour près de tous les pâtissiers. Quand il regarda à nouveau Loup, il vit ce dernier verser à nouveau du sel dans la préparation !

—Mais quel abruti ! tempêta-t-il.

Il traversa la grande cuisine au pas de course. Quand il arriva enfin près du garçon, il croisa Swann et la poussa sans ménagement pour l'écarter de son chemin. Il devait absolument confier la religieuse entre les mains d'un meilleur cuisinier avant qu'il ne soit trop tard !

—Alors Hadrien, stressé ? le nargua Swann
—Non, mais pressé ! rétorqua le chef sans même s'arrêter.

Il déposa une main sur l'épaule de Loup, ce dernier se retourna.

—Chef ?
—Que fais-tu avec ce pot de sel ?
—Je...je... C'est du sucre chef, bredouilla le pauvre apprenti.
—Tu ne sais pas lire gamin ? s'impatienta le chef. Ou tu me prends pour un idiot ce n'est pas possible !
—Non chef, ce n'est pas ça... Je vous jure que c'est du sucre, tenez goûtez.
—Tu te gausses ? Tu veux me faire perdre le concours hein ? Tu veux que j'enfreigne la règle qui m'interdit de goûter c'est ça ?
—Non chef.