Le blanc des yeux

Depuis le début
                                    

Elle réfléchit.

— À votre prochain anniversaire, chaque personne qui vous le souhaitera vous apportera un peu de bonheur. Elle aussi sera récompensée, me répète-t-elle. Oui, c'est bien ça, tu as raison.

— Te souviens-tu qui te l'a souhaité ?

Elle lève les yeux au ciel.

— Ben non. Comment... si, je sais, m'indique-t-elle en riant, Comptons le nombre de catastrophes que j'ai déclenché, je crois que ce sera plus simple.

Difficile de les oublier, celles-là.

— Bon, alors, Pacôme a fini dans les cuisses d'une danseuse brésilienne, me rappelle-t-elle en plissant le front.

Nul doute que ce souvenir ne doit pas la ravir.

— Et puis les taches de jus de fraise. Ça fait deux.

— Attends, pour les taches, mon frère, ma belle-sœur et ta mère te l'ont souhaité, tous les trois.

— Quatre alors. Oh, Moïra, c'est difficile !

— Tu n'as pas oublié dans quel état a fini la bibliothèque, tout de même ? Ou la nappe en feu, le dentier cassé et la moustache que tu as massacrée ? Et ne parlons pas du pneu crevé !

— Et la piscine.

— C'était drôle, ça.

— Oui. As-tu vu la tête de Maribel ? Je crois que c'était le plus hilarant.

— Non, désolée, je n'ai pas réussi à me détacher de... enfin, bref, j'ai loupé ça.

Encore un peu et je lui avouais que je n'avais pas assisté à sa chute dans la piscine à cause du barman.

— Quoi d'autre ? me demande-t-elle sans remarquer le feu qui brûle mes joues.

— Ta marraine s'est écrasée sur le sol après un beau vol plané et ta grand-tante également.

— Mon dieu, mais ma famille va me détester !

Nous éclatons de rire et cela fait du bien, après une journée aussi éreintante.

— J'en compte dix-huit, m'annonce-t-elle en grimaçant. Ah oui, tout ça quand même. Je comprends mieux pourquoi je trouve cette fête interminable.

— Si ma théorie se confirme, encore cinq. Cinq catastrophes. Je ne sais pas si Maribel le supportera.

— Non, à mon avis, elle nous enfermera à la cave, d'ici là. Mais, attends...

— Quoi ?

— Je viens de penser à quelque chose. Hier, tu m'as souhaité mon anniversaire. Tu t'es trompée de jour, tu t'en souviens ?

Je me replonge dans la journée précédente qui m'a paru aussi longue que celle d'aujourd'hui.

— Ah oui, c'est vrai. Quand je fais un faux pas, tu t'en rappelles immédiatement, hein !

— Qu'est-ce que tu peux te montrer susceptible, parfois ! J'en parle parce que nous avons découvert l'hôtel brûlé ensuite. Ce serait quand même bizarre qu'un hôtel prenne feu et que cela soit sans rapport.

Je hoche la tête puis me remémore autre chose.

— Pacôme aussi te l'a souhaité. C'est après que nous avons dû finir la nuit dans le mobil-home.

Elle sourit, comme si ce n'était qu'un souvenir agréable.

— Alors, cela fait vingt joyeux anniversaires, m'annonce-t-elle.

— Plus que trois, enfin non. Je te l'ai souhaité ce matin, ton anniversaire, et j'ai perdu mon portable. Plus que deux.

Dépitée, je rejoins un des fauteuils et m'affale dedans. Deux catastrophes, ce n'est pas si dramatique. Et si personne ne lui souhaite ce soir, le sort sera peut-être reporté à l'année prochaine. Ce n'est pas si grave si deux autres personnes subissent un petit désagrément. Enfin trois, puisque Pia aura alors vingt-quatre ans.

Trois, ce n'est pas la fin du monde. À tous les coups, j'en ferais les frais. À moins que le sort ne prenne pas les précédents en compte. Je stoppe les pensées parasites qui m'envahissent le crâne et tente de réfléchir plus calmement.

Ces hypothèses sont peut-être vraies, mais, le mieux serait de ne pas avoir à les vérifier.

— Je peux peut-être réessayer, fais-je peu convaincue.

— Qu'est-ce que tu dis ?

— Et si je te souhaite à nouveau ton anniversaire, peut-être est-ce que cela comptera ? Après tout, je te l'ai dis deux fois et chaque fois, j'en ai subi les conséquences.

— Bah, essaie, cela ne coûte rien.

Nous nous regardons, en silence.

— Enfin, si on veut, précise-t-elle.

Je prends une inspiration, souffle puis, tout en expirant, je lui souhaite un joyeux anniversaire.

Nous attendons plus de vingt minutes sans bouger.

— Il faut peut-être patienter encore un peu, lui dis-je, perplexe.

— Ou faire autre chose que se regarder dans le blanc des yeux.

Elle se lève.

— Bon. Avant que quelque chose se produise ou non, j'ai un truc à faire.

— Euh... un tour aux toilettes ?

— Je vais retrouver cette boule à neige que j'ai offerte à Maribel et la reprendre.

— As-tu peur que la même chose arrive à Maribel ? Ou pire ? fais-je en me rappelant que la commerçante l'avait prévenu que cela pouvait être plus dramatique.

— Comme si Maribel pouvait casser quoi que ce soit. Non, je ne voudrais pas qu'elle ait encore plus de chance qu'elle en a déjà.

Les vingt-trois joyeux anniversaires de PiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant