Objet de malheur

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Je ne sais pas si c'est l'humidité ou le froid qui me réveille en premier. Ou l'humidité froide. Ou le froid humide. En fait, je ne suis pas certaine d'avoir dormi. J'ai l'impression que même mes os grelottent et sont noyés d'eau. À mes côtés, Pia a aussi ouvert les yeux et elle enlève une mèche de ses cheveux collés sur son front. Pas facile quand on se réveille avec des moufles.

— J'ai rêvé que je dormais dans un frigo, tu sais, comme ceux avec de grandes portes.

— Une pièce frigorifiée ?

— Non. Un réfrigérateur énorme, avec un distributeur de glaçons, précise-t-elle.

— C'est... en fait, ce n'est pas si étrange que cela, compte tenu de ton aventure d'hier.

— Et de ce bungalow sans chauffage.

— Aussi.

L'ami, ou ex-ami, de Pacôme n'a pas bronché quand il a vu l'état de son studio. C'était un peu bizarre, mais je le soupçonne de ne pas les entretenir si bien qu'il le devrait. Il nous a demandé de partir, ce que nous comptions faire, de toute façon. Pacôme a bien essayé de nous reloger, en vain. Maribel n'a répondu à aucun de nos appels et a envoyé balader son beau-frère en prétextant une affaire urgente à régler. Bref.

Heureusement que j'avais gardé le numéro de l'hôtelier et que son bungalow nous attendait. Enfin. Heureusement est un grand mot. Même si le mobil-home, spacieux, comporte trois chambres, un salon, une cuisine et deux salles de bain, ses chauffages ne permettent pas de nous promener en petite tenue. Nous avons dormi avec nos pulls, une couverture ainsi qu'une couette et Pia a poussé le vice jusqu'à enfiler ses moufles et son écharpe.

— Je vais préparer du café, si tu veux.

— Tu oseras sortir de ce lit ?

Pour tenter de nous réchauffer, nous avons dormi ensemble et cela a plutôt bien fonctionné. M'échapper de notre abri m'apparait comme une mauvaise idée, maintenant.

— Il le faudra bien, non ? Je te rappelle que nous devons assister à des fiançailles, aujourd'hui.

— Youpie, me dit-elle en rabattant la couette sur son nez.

Je sors du lit, en me frottant les épaules, mais constate qu'il ne fait plus si froid. Je jette un œil à l'extérieur. Le champ est vierge de tout givre. Les brins d'herbe penchent légèrement à cause de quelques gouttes de rosée qui s'y sont déposées. Même le soleil s'annonce de la partie.

Dans la cuisine, j'enlève mon sweat humide et revêts le gilet de Pia qui traine sur la banquette. Je m'attèle à nettoyer la cafetière quand je me souviens de l'anniversaire de mon amie.

— Bon anniversaire, Pia !

Je lui crie cela en la rejoignant dans la chambre et me mets à chantonner.

— Bon sang, arrête ça, Mo, je déteste cette chanson, me coupe-t-elle en plaquant son coussin sur les oreilles.

— Je sais, dis-je en riant.

Je veux continuer, mais elle me lance mon oreiller et je l'évite de peu. Elle tente de me jeter le sien quand, tout d'un coup, le sommier du lit s'effondre sur le sol. Il me faut un moment pour remarquer que le meuble vient de se casser. Quand je le réalise, je me retiens de rire. Pia, quant à elle, est toujours assise sur le matelas sauf que le matelas, lui, frôle le sol alors que le lit reste debout. C'est très comique.

— Mais ce n'est pas possible ! crie-t-elle en balançant finalement son coussin.

Son geste provoque l'affaissement complet du meuble. Les deux pans, le bout et la tête de lit s'écrasent en même temps. Pia se recroqueville en protégeant son visage.

— Dis-moi que c'est une blague, s'il te plait ! supplie-t-elle.

— Je ne sais pas si quelqu'un peut avoir plus de malchance que toi.

— Et que toi.

— Ce n'est pas moi qui viens de détruire un lit et manquer de me faire assommer, dis-je en la montrant du doigt.

— Oui, mais moi, je n'ai pas laissé mon smartphone sous le lit.

Je pose la main sur ma bouche qui s'ouvre en grand et me précipite vers le côté où je dormais ce matin. Comme il n'y avait pas de tables de chevet et que j'avais peur de marcher sur mon téléphone en me réveillant, je l'ai glissé sous le lit.

J'enlève le pan qui s'est couché sur le sol et prie pour que mon smartphone ne soit pas dessous. Je respire quand je ne le vois pas. Pia m'observe en se mordillant le pouce.

— Il doit être sous le matelas. C'est plutôt bon signe, lui fais-je en soulevant un bout du dit matelas.

Toujours pas de téléphone.

Pia se lève et m'aide à chercher ce foutu objet de malheur quand je me fige. Je l'ai trouvé. Sous la barre métallique du sommier. L'écran brisé et les composants qui apparaissent derrière me donnent peu d'espoir.

Vivement que ce week-end se termine.

Les vingt-trois joyeux anniversaires de PiaDonde viven las historias. Descúbrelo ahora