Vinaigre et citron

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Au bout d'une heure, je suis certaine d'avoir ingurgité toutes les saveurs possibles et inimaginables quand une dernière verrine fumante arrive devant nous. 

Je ne réalise pas immédiatement de quoi il s'agit, mais les volutes blanches me disent quelque chose. Le mien étant décédé, j'attrape le smartphone de Pia qui se trouve sur la table et lance une recherche sur Internet.

De la neige carbonique.

À des fiançailles.

J'avoue que je n'ai pas assisté à beaucoup de fêtes données en l'honneur de fiancés tous neufs, mais celles où j'étais conviée se résumaient à des barbecues ou soirées bien arrosées. Rien de comparable à cette journée.

J'attends la critique que va prononcer un des membres de ma famille, mais elle ne vient pas. Je relève le nez de la verrine et remarque que je suis seule à table. Cette découverte me fait sursauter. Comment n'ai-je pas constaté qu'ils étaient partis et, surtout, où se sont-ils volatilisés ?

Je tourne la tête à gauche puis à droite. Pas de Peter, de Luisa et de Pia. Je vois mon barman barbu, enfin non, le barman barbu qui s'affaire derrière un nouveau comptoir. Ensuite, j'aperçois ma mère se sauvant vers le couloir qui nous a menés ici. Autre détail, quand je repose mes yeux sur la table vide, je constate qu'aucun d'entre eux n'a obtenu d'assiette. Mais que se passe-t-il ?

Pour le savoir, je me lève et retourne vers la salle de réception. Personne. La pièce est d'ailleurs complètement vierge de toute trace d'une fête quelconque. Impressionnant.

Je fonce vers l'entrée de l'annexe.

Peter se tient dans l'embrasure de la porte qui donne sur l'extérieur. Il m'avise, me fait un signe et m'indique la sortie. Je me hâte. Arrivée devant la fontaine, je me retiens de rire.

Pia, Luisa et leur mère se trouvent devant moi et tentent d'essuyer des traces d'un liquide rouge sur leur jupe, avec l'eau de la fontaine.

— Vous êtes dingues, vous allez attraper froid ! Vous auriez pu vous rendre dans les toilettes.

— À l'intérieur, aucun robinet ne fonctionne. Les serveurs nous ont dit qu'une conduite doit être détériorée à cause du gel des derniers jours. Il était hors de question que nous cherchions de l'aide auprès de Maribel alors, maman a eu cette idée.

— Vous auriez pu demander à sa mère, non ?

— Pour qu'elle nous voie dans cet état ? s'indigne Luisa.

— Mais que vous est-il arrivé ?

Les trois femmes stoppent leur tentative désespérée de nettoyer leur toilette et me fixent. Plusieurs secondes s'écoulent avant que l'une d'entre elles ouvre la bouche.

— Moïra, où étais-tu, toi ? Sur quelle lune ? me questionne Pia.

J'essaie de me rappeler si je me trouvais sur le satellite « barman sexy », mais je crois bien que non. Peter répond à mon interrogation, je constate que sa chemise aussi est tachée.

— Quand la verrine est arrivée, Pia a... enfin, elle a reculé sa chaise au mauvais moment, soupire-t-il.

— J'ai vu une guêpe.

— Au mois de décembre ? dis-je en me retenant de rire.

— J'ai cru qu'une guêpe se baladait sur le bord de la table, mon cerveau n'a pas imaginé que c'était impossible. C'est tout.

— OK. Et pourquoi retrouvez-vous ici ?

— Elle a percuté le serveur qui passait derrière elle et il a renversé sa verrine sur le sol.

— Ce qui ne m'explique toujours pas pourquoi vous terminez dans cet état.

— Pia a reçu un peu de neige carbonique sur la chaussure et pour éviter le reste, elle a sauté sur la table.

Et dire que j'ai raté ça. Comment ai-je pu rater ça ?
Mais, comment, diable, ai-je pu rater ça !

— Et ce que vous avez sur vous, c'est...

— Le jus de fraise que Maribel se vante de préparer.

Tous les jus de fruits que nous buvons depuis ce matin sont des produits provenant de l'entreprise de Maxime où Maribel ne travaille pas du tout. Soit.

— Vous n'arriverez à rien avec cette eau froide.

— Ça fait bien partir les taches de sang, pourtant, me rétorque la mère des filles.

— Réaction chimique. Pour les fraises, nous avons besoin de vinaigre ou de jus de citron. Et je sais où trouver le deuxième, ne bougez pas.

J'ai presque envie de les remercier de me donner une occasion de parler à mon barman, mais je me retiens. Cette information les divertirait assez pour qu'ils laissent Maribel de côté, c'est certain, sauf que je ne veux pas devenir leur nouveau centre d'attention.

— Comment tu sais ça, toi ? me lance Luisa.

— Je ne vais pas te dire tous mes secrets, quand même, lui fais-je en lui tirant la langue.

Avouer à ma belle-sœur et à Pia que je passe certaines de mes soirées à chercher des astuces pour le ménage ? Non, jamais.

Elles me harcèleraient jusqu'à ce que j'accepte de m'inscrire sur un site de rencontres. Je préférerais me retrouver nue dans cette fontaine.

Les vingt-trois joyeux anniversaires de PiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant