Peter pan

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Ce type est quand même trop beau pour être vrai, me dis-je après l'avoir croisé une énième fois. Il s'agite derrière le bar et me jette de temps en temps un coup d'œil. J'ai eu l'occasion de lui reparler à plusieurs reprises pendant cet apéritif qui dure depuis une éternité. Je sais qu'il s'appelle Corentin, qu'il est boulanger, mais travaille chez ce traiteur pour arrondir ces fins de mois et monter son affaire.

Encore une ou deux conversations et son numéro de téléphone rejoindra ma poche.

— Mo ? Tu m'écoutes ? me houspille Pia.

— Euh oui.

— Tu as vu la Vierge ou quoi ?

— Non, mais qu'est-ce que tu racontes ? fais-je, un peu trop agressive.

Elle me fixe en plissant les yeux pendant quelques secondes puis, heureusement pour moi, son attention est détournée vers Maribel qui annonce que les premières entrées seront servies dans le jardin d'hiver.

— Qui possède ce genre de trucs ? Un jardin d'hiver ? On touche le fond ! critique Pia, en se frappant le front. Va-t-elle nous exposer son argent, toute la journée ?

Je hausse les épaules, assez dépitée. Je ne sais pas laquelle des deux me met dans cet état. Est-ce à cause de Maribel, la harpie, digne de jouer dans un soap américain ou est-ce Pia, râleuse indécrottable, la fautive ? Je l'ignore, mais une douleur aigüe commence à irradier mes tempes.

— J'imagine que, quand on a la chance de posséder une maison pareille, on a envie de la montrer sous toutes ses coutures.

— Que souhaite-t-elle nous transmettre comme message ? Vous avez vu, les gars, j'ai mieux réussi que vous ? crache-t-elle, un poil agressive.

— Elle peut aussi vouloir en faire profiter tout le monde, non ?

— Mouais. Dans ce cas, elle peut nous inviter à dormir ici, alors. Seule la famille de Maxime loge dans ce château.

— Parce qu'il est à lui, ce château, ma chérie, nous interrompt la mère de Pia.

Luisa, la sœur de mon amie – celle qui subissait les taquineries de mon frère – et mon frère, justement, l'accompagnent. Nous nous saluons et je soupire. Je n'ai pas envie d'entendre encore plus de plaidoyers contre Maribel, or ; je sais qu'aucun d'entre eux ne la supporte. À raison, je peux le comprendre, mais j'aimerais que mes oreilles et mon cerveau se reposent un peu.

— Salut sœurette, ça va ?

— Oui, Peter, et toi ?

Ma mère était fan de Peter Pan, cela ne s'invente pas. Une chance pour moi, elle détestait le prénom Wendy sinon j'en aurais hérité. Je préfère largement le deuxième prénom de la petite fille, Moïra. Le mien donc. Heureusement, Peter a échappé à Hook, autre choix potentiel.

— Oui. Ça ira mieux demain, quand nous serons rentrés chez nous.

J'évite de m'immiscer dans cette conversation même si je partage son avis. Derrière Peter, le barman barbu me sourit. Peut-être que je ne suis plus aussi motivée à vouloir retourner en Picardie, finalement.

— Essayons de profiter de la journée quand même.

Peter grimace, ma belle-sœur, Pia et leur mère l'imitent. Aucun ne porte Maribel dans son cœur depuis que celle-ci n'a pas daigné se rendre au mariage de mon frère et de la sœur de Pia. Une affaire de la plus haute importance à régler, soi-disant. Pas de chance, Luisa possède un compte sur Instagram et a pu voir les photos de cette urgence. Une journée shopping. J'avoue qu'il est difficile de lui trouver des excuses.

— Moui. Essayons.

Nous discutons un peu tout en nous rendant dans le fameux jardin d'hiver. Nous sortons de la salle de réception et entrons dans un couloir au plafond de verre.

Celui-ci nous mène à une autre pièce, plus petite que la première, entièrement vitrée.

Des tables rondes aux nappes immaculées sont disposées çà et là, entre des plantes dont j'ignore le nom. Sur les poutres en bois, qui soutiennent le toit de la verrière, des guirlandes lumineuses sont accrochées. Un peu partout, quelques lampions en papier complètent le tableau. Difficile de se croire à des fiançailles tant la décoration rappelle celle d'un mariage.

— Un jardin d'hiver, un jardin d'hiver. Une simple véranda, quoi.

Pia exagère encore une fois, mais je vois à ses yeux pétillants qu'elle est assez impressionnée. Elle attrape un verre de vin blanc sur un plateau tenu par un serveur et l'avale cul sec. Si en plus, elle se met à boire, l'après-midi n'en finira pas.

Nous tentons de trouver notre place parmi toutes les tables et constatons avec soulagement que nous sommes assis côte à côte. Les parias ensemble, ajoute ma mère, ce à quoi Pia répond une nouvelle pique que je n'ai pas envie d'entendre.

— Mais, au fait, joyeux anniversaire, petite sœur, chantonne Luisa. Cela te fait quel âge, maintenant ?

— Merci. J'ai vingt-trois ans.

— Quelle chance !

— Tu n'as que vingt-cinq ans, Luisa, arrête tes bêtises.

— Vingt-six.

— OK, vingt-six. Mais tu as vingt-six ans, un mari et deux charmants bambins.

— Ton tour viendra, ma belle, sois patiente.

— Non. C'est fichu, répond Pia en chuchotant.

De pire en pire.

Sa mère et Peter souhaitent à leur tour un bon anniversaire à ma meilleure amie tandis que les serveurs commencent à se faufiler entre les tables. Devant moi se pose une multitude d'assiettes dont chacune contient des mises en bouches minuscules. Minuscules, mais succulentes.

Les vingt-trois joyeux anniversaires de PiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant