Tatie Henriette

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La porte s'ouvre, Maribel revient avec deux verres d'eau qu'elle nous tend. Derrière elle, un jeune homme assez mignon dévisage une Pia qui se fige. Elle qui trépignait une seconde plus tôt se tient toute droite et sourit en rougissant.

Voici le fameux Pacôme, j'imagine.

— Je vais vous laisser avec mon beau-frère, il va vous aider. Moi, je me sauve, car la fête ne s'organisera pas toute seule. Alors, je vous souhaite une bonne fin de journée et, surtout, reposez-vous. Demain s'annonce éreintant.

Tu l'as dit.

Je réalise, en même temps, que nous devions la retrouver, ce soir. A-t-elle oublié ou vient-elle de nous désinviter d'une manière assez subtile ? J'observe ma meilleure amie qui ne tique même pas face au manque de politesse flagrant de Maribel. Mais qui est ce Pacôme, à la fin ?

— Salut, Pia, lui dit-il, une fois Maribel partie. Comment vas-tu depuis l'année dernière ?

— Bien, et toi ? bafouille-t-elle.

— Super ! J'ai réussi à me trouver un appartement, grâce à tes conseils. Je voulais te remercier, mais, manifestement, tu n'as pas dû me donner le bon numéro de téléphone.  Est-ce que tu partages ton trois-pièces avec une certaine Henriette ?

— Euh non, bégaie mon amie.

— Un faux numéro, donc. Je comprends. Je peux me montrer très lourd avec une fille quand elle me plaît.

Elle écarquille les yeux, moi aussi. Alors comme ça, il l'a draguée et elle n'a pas voulu de lui. Bizarre. Pourtant, je voyais les joues écarlates de Pia comme une preuve qu'elle avait un faible pour lui.

— Tu...

— Si tu t'es sentie obligée de me donner un faux numéro, c'est que je me suis montré trop insistant, désolé, fait-il en s'asseyant sur le fauteuil en cuir, face à l'ordinateur dernier cri.

Il pianote sur le clavier sans nous jeter un seul regard. J'observe Pia dont le visage a changé de couleur. Elle est blême. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il compose ce numéro et surtout, elle n'imaginait pas en subir les conséquences.

— Mais, je... tente-t-elle de se défendre.

— Non, Pia. Ne me dis rien. Tu sais, j'ai mal interprété notre complicité, ce soir-là. J'ai cru que... soit. Oublions. Pour le bien de nos familles, de Maribel et Maxime, oublions.

Je reste debout pendant que Pia s'assied lourdement sur le petit canapé rouge, tout en croisant les bras. Je lui reconnais cet air frustré qu'elle affiche lorsque quelque chose la contrarie. Va-t-elle, enfin, lui montrer son vrai caractère ou va-t-elle continuer à se terrer dans son mutisme ? 

— Alors, quel jour comptez-vous partir ? Lundi ou mardi ? lui demande-t-il.

Tout de suite, c'est possible ?

— Lundi, murmure Pia.

Pacôme reprend sa recherche et j'ai tout loisir de l'observer. Ses cheveux bruns, bouclés, me rappellent ceux de Maxime. Ils ne sont pas frères pour rien. À la différence de son aîné, ses yeux sont clairs et il possède des traits moins durs. Plus jeune, Maxime ressemblait à un prédateur, surtout quand il me regardait. Il souriait rarement, mais les seules fois où ses lèvres s'élargissaient, j'avais envie de m'enfuir.

Son frère cadet paraît plus sympathique, même si les reproches formulés à Pia démontrent un caractère affirmé.

— Bon, j'ai visité tous les sites de réservation en ligne et forcément, avec le mariage, les deux hôtels les plus proches sont complets. À moins de cinquante kilomètres. Je n'ai pas trouvé un seul gîte ou une seule chambre d'hôtes libres. Rien.

Je m'attends à ce que Pia lui rétorque que ce n'est quand même pas le mariage de la reine d'Angleterre, mais elle n'en fait rien. Muette, elle fixe le jardin derrière lui.

— Euh, nous ne pouvons pas dormir, ici ? lui dis-je, tout en observant mon amie qui m'inquiète de plus en plus.

— C'est complet aussi, me sourit-il. Un de mes amis loue des studios à l'année. Peut-être que l'un d'entre eux est vacant. Si oui, je vais tenter de vous négocier une nuit à l'intérieur.

— Merci.

— Il n'y a pas de quoi. Sinon, bon, vous devriez peut-être envisager de vous éloigner. 

Ou de rentrer chez nous.

Il quitte la pièce en prenant son téléphone et me laisse avec une Pia renfrognée. J'aimerais bien l'interroger sur cette fameuse soirée que Pacôme a mentionnée, mais j'ai peur de déclencher un ouragan.

La curiosité l'emporte sur l'éventualité d'éviter une catastrophe naturelle.

— Tu m'expliques ?

— Il vient de te dire qu'il sortait appeler un ami pour nous trouver un studio.

Légère brise. Pour l'instant, rien de grave. Je reformule ma question.

— Peux-tu m'expliquer cette histoire de numéro de téléphone ?

— Laisse tomber, Mo, c'est mieux.

Le vent se lève à peine, continuons.

— Non, raconte-moi. Vu l'état dans lequel tu es, je pense que tu dois m'en parler.

— T'es psy, maintenant ?

Quelques grêlons, on va s'en remettre.

— Pia, fais-je en haussant les yeux au ciel, ça m'intrigue, c'est tout. Si j'avais été à ta place, tu aurais déjà engagé un détective.

Vais-je éviter la neige et me prendre la tornade directement ou serait-ce possible qu'elle se détende un peu ?

— Il est idiot, c'est tout. Je lui ai donné le bon numéro, ce n'est pas ma faute s'il ne sait pas lire ou s'il n'arrive pas à se servir de son téléphone.

Donc, monsieur le beau-frère de Maribel lui plaît. Je n'étais pas à côté de la plaque, alors.

— Mais pourquoi ne lui as-tu pas expliqué ?

— Il ne m'a pas laissé le temps d'en placer une, cet abruti. Et puis, je n'apprécie pas qu'il puisse me juger, comme ça, sans chercher plus loin.

— En même temps, cela peut se comprendre. Imagine que tu appelles un type avec qui tu as passé une bonne soirée et que tu tombes sur tatie Henriette, comment réagirais-tu ?

— Certes, me répond-elle en décroisant les bras. Mais, il me déclare coupable à un procès où je ne suis pas invitée pour me défendre.

— Oui, d'accord. C'est bien pour cela que tu aurais dû en placer une. Il a quand même gardé le silence pendant un long moment.

Elle fixe de nouveau le jardin.

— J'essayais de réduire mes battements cardiaques avant de lui répondre, mais je n'y arrivais pas. Tu comprends, c'est difficile de se remettre du moment où le mec de tes rêves admet que tu lui plais. Mon corps n'a pas réussi à digérer cette information.

Je la regarde, abasourdie. C'est bien la première fois qu'elle me confie être amoureuse d'un homme ou qu'elle appelle l'un d'entre eux de cette manière.

— C'est mignon.

— C'est tout ce que tu trouves à dire ? Il croit que je l'ai repoussé. Il croit que je suis une fille hypocrite, fausse, en carton. Il croit que je suis le diable. C'est fichu.

— Si tu ne lui avoues pas la vérité, oui, c'est fichu.

Elle me dévisage puis reprends sa contemplation du jardin.

Eh bien, si en plus, je dois réparer les peines de cœur de deux têtus, ce week-end s'annonce pire que ce que j'imagine.

Les vingt-trois joyeux anniversaires de PiaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant