Carreaux de ciment

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— Mouais. Je dois bien le reconnaître. Bon, entrons dans cette bicoque avant que ma bouche ne sorte un nouveau compliment.

— Parce que tu crois qu'à l'intérieur ce sera moins bien, peut-être ?

Elle me lance un regard dépité puis se dirige vers la porte d'entrée. Pas de sonnette.

— Est-ce que je tire sur la cordelette ? me demande Pia en désignant une cloche dorée, suspendue au-dessus de la porte.

— Euh, frappe d'abord, peut-être.

— Non, je vais essayer. Au mieux, la cloche se décrochera et m'assommera.

— Au mieux ?

— Une parfaite excuse pour s'en aller d'ici, non ? Et puis, il y a des chambres, à l'hôpital. Problème de logement résolu.

Alors que je la tape sur l'épaule, un homme aux cheveux grisonnants ouvre la porte et nous avise. Il nous regarde de la tête aux pieds, puis nous sourit.

— Que puis-je faire pour vous ?

— Oncle Georges !

Pia lui plaque deux bises sur les joues et se jette à son cou. Le père de Maribel a tellement changé que je ne l'ai même pas reconnu.

— Salut, les filles. Quoi de neuf ? Vous êtes en avance. Maribel ne vous attend pas avant le repas de ce soir, nous dit-il en nous poussant à l'intérieur de la maison.

Nous entrons dans un petit vestibule entièrement vide puis pénétrons dans le plus grand hall que je n'ai jamais vu. Un énorme escalier, en pierre, grimpe vers l'étage en suivant les trois murs devant nous. De chaque côté, deux pièces, dont les portes doubles, fermées, sont en bois épais.

— Nous avons un problème de logement, lui répond Pia.

— Ah, je vois. Je vais chercher ta cousine.

Pourquoi son sourire disparaît-il ? Nous considère-t-il comme deux enquiquineuses ou est-ce la perspective d'annoncer à sa fille notre présence qui le crispe ?

— Je reviens de suite. Enlevez vos manteaux et suspendez-les à la patère. Vous pouvez vous asseoir ici, fait-il en nous désignant deux larges fauteuils gris, à notre gauche.

Nous nous exécutons pendant qu'il s'éloigne en passant par une porte dissimulée sous l'escalier. Je ne l'avais pas vue, cachée par un vase aussi haut que moi.

— L'heure de vérité. Ça y est, nous allons retrouver Maribel, murmure Pia.

Je hoche la tête, tout en tentant de calmer ces palpitations rapides qui m'assourdissent. Des bruits de talons nous parviennent et mon cœur s'emballe au rythme de ceux-ci. Pia se mord les ongles, ce qui ne me rassure pas.

Une jeune femme blonde ouvre la double porte en face de nous. Il me faut un moment pour réaliser que c'est bien elle, la cause de mes dernières nuits blanches. La Maribel de mon adolescence, celle aux cheveux courts, aux belles rondeurs et aux lunettes larges a disparu. Maribel, brune autrefois, est maintenant blonde et presque maigre. Aucun double foyer ne traîne sur son nez. Maribel, grunge autrefois, est maintenant sophistiquée.

— Enlevez vos chaussures. Je viens juste de faire nettoyer mes carreaux de ciment et vos semelles sont pleines de boues. 

Des retrouvailles parfaites, en somme.

— Bonjour à toi aussi, grommelle Pia en retirant une de ses bottes.

— Je ne vous attendais pas avant dix-neuf heures.

Elle croise ses bras sur sa poitrine menue. Étrange de la voir habillée de la sorte. Avant, elle portait des jeans déchirés, des t-shirts à l'effigie de son groupe de rock préféré et des Converses. Cette jupe crayon verte, ce chemisier noir et ces talons aiguilles, noirs eux aussi, n'auraient pas trouvé de place dans sa garde-robe.

— Nous avons eu un léger souci. Notre hôtel a brûlé, lui dis-je alors que je sens le sol froid au travers de mes chaussettes.

Ce sol me paraît moins glacé que le regard qu'elle me jette.

— Ah ! Voilà où s'était sauvé Maxime. L'auberge appartient à son oncle. C'est dommage, la famille détenait ce bien depuis des décennies. Vous voulez peut-être boire quelque chose avant de partir à la recherche d'un nouveau logement ?

Je hoquette, un peu abasourdie. Visiblement, elle n'a pas l'intention de nous aider.

— Euh, mais, il n'y a rien d'autre dans le coin, ni gîte ni chambre à louer.

— C'est fâcheux, nous annonce-t-elle en tournant les talons. Je vais voir ça avec Pacôme, il a certainement une solution.

— Pacôme est ici ? demande Pia faiblement.

Tiens, je crois que ce Pacôme va me plaire s'il arrive à mettre ma meilleure amie dans cet état. Son visage est devenu tout pâle, mis à part ses joues, aussi écarlates que mes cheveux.

— Évidemment. C'est le frère de Maxime, où veux-tu qu'il soit ?

Le ton condescendant de Maribel commence à m'agacer. Je devrais m'excuser auprès de Pia pour avoir douté de ses mises en garde.

Maribel nous fait signe de la suivre et nous entrons dans une nouvelle pièce, moins haute et beaucoup plus petite. Une sorte de salon, sans télévision, où deux canapés clairs font face à une cheminée. Je n'ai pas le temps de m'attarder sur la décoration travaillée que Maribel continue son chemin vers une autre partie de la maison. Nous passons une seconde porte, puis une troisième, un couloir, la cuisine et, enfin, nous arrivons dans ce que je prends pour un bureau.

Maribel nous laisse en plan, sans même nous proposer de nous asseoir. Je jette un œil sur la pièce circulaire dont la grande fenêtre donne sur une pelouse impeccable. Quelques arbustes sont plantés ici et là, entre des cailloux blancs comme neige. Au fond du jardin, une serre énorme abrite une piscine où j'aurais bien envie de me plonger.

Le petit salon doit être celui où l'on reçoit les importuns dans notre genre. Les canapés moelleux, placés devant un bureau, me font de l'œil, mais je n'ose pas m'y installer. Pia doit se faire la même réflexion, car elle saute d'un pied à l'autre, tout en s'approchant d'eux.

— Purée, je dois m'asseoir sinon je vais faire pipi sur ses carreaux de ciment à la noix.

Ah non. Erreur.

Les vingt-trois joyeux anniversaires de PiaWhere stories live. Discover now