chapitre 7

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Harry

« Je voulais l'appeler Grace. »

Quand je l'ai vu pour la première fois, il y a un an, le garçon assis au bord de la rivière avait tellement de sang sur les mains que j'ai cru qu'il s'était coupé les veines.

-Mon garçon ?

Le jeune homme aux cheveux châtains était assis sur la berge, les genoux repliés sous le menton. Il ne me voyait pas mais regardait fixement ses mains tachées de sang, comme dans une scène d'une tragédie shakespearienne.

-Vous allez bien ?

Je m'approchais un peu plus et vis la trace de sang sur sa joue, dans laquelle les larmes avaient tracé des sillons. Je ne voyais pas ses poignets mais je présumait qu'il était venu là pour laisser sa vie s'écouler de ses veines tailladées.

-Où êtes-vous blessé ?

Il me regarda en clignant des yeux. Il semblait prendre conscience de ma présence pour la première fois. Il était probablement sous l'influence de drogues. Il secoua la tête frénétiquement.

-Je ne suis pas blessé. Je vais bien. C'est juste un peu de sang. Ça arrive parfois aux femmes.

Mais soudain il ferma les yeux, entoura ses jambes de ses bras et se mit à se balancer d'avant en arrière. Je ne comprenais pas ce qu'il voulait me dire.

-Comment vous appelez-vous ? dis-je doucement en m'approchant un peu plus.
-Je voulais l'appeler Grace, murmura-t-il, les yeux rivés sur le fleuve, comme pour y chercher de l'aide.
-Qui ?

Il se mordit la lèvre et secoua la tête.

-Je n'ai pas voulu cela. Non, pas cela.

Il baissa la main et la coinça entre ses jambes. Comme pour retenir quelque chose.

A cet instant, je compris. J'avais entendu dire que, dans de rares cas, certaines personnes hermaphrodites pouvaient enfanter. C'était apparemment son cas. Je m'accroupis à coté de lui malgré l'humidité de la berge, qui traversait mon pantalon.

-Vous êtes en train de faire une fausse couche ?

Il secoua la tête de nouveau.

-J'allais m'en sortir. Ce n'était pas la situation idéale, ce n'était peut-être pas bien, mais je pouvais m'en sortir. Je n'ai pas voulu cela. Je ne peux pas croire que cela m'arrive.
-Vous devez aller à l'hôpital.

Ses yeux s'élargirent et je fus frappé par l'intensité de ses iris, d'un bleu océan.

-Vous vouez bien m'accompagner ? Si je suis seul, je ne crois pas que je supporterai d'entendre que je suis en train de perdre mon bébé. J'ai – il sembla manquer d'air, étouffa un sanglot -, j'ai tellement peur.

Et, à notre grande surprise à tous les deux, je le pris dans mes bras et je le serrai contre moi pour le laisser pleurer.

Je n'ai pas oublié la façon dont il a semblé perdre tout intérêt à mesure que nous approchions de l'hôpital. Je n'ai pas oublié sa voix qui devenait monocorde, comme si, malgré son jeune âge, il avait déjà perdu toute fois en la vie. Je n'ai pas réussi à oublier le regard hanté qu'il fixait sur les portes coulissantes des urgences, tandis que je me garais au parking de l'hôpital.

-Croyez vous que Dieu nous punit pour nos fautes ?

J'ai repensé à lui les jours suivants. Je me demandais ce qui lui était arrivé après que les infirmières l'avaient emmené. J'ai attendu deux heures avec le sang de cet inconnu sur ma chemise.

Unbreak me ( larry ) T1Where stories live. Discover now