Chapitre V

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Kieran entra au Millénium en colère, bousculant sur son passage l'homme qui déchargeait la livraison d'alcool de la semaine et ne prit pas la peine de s'excuser. Il grimpa les marches de l'escalier métallique menant à son bureau deux par deux, retira son blouson de cuir qu'il jeta négligemment sur le canapé et s'assit dans son fauteuil. Depuis la mort de son père, la colère le dévorait de l'intérieur. Il ne savait pas comment l'évacuer. Même dire à Cally tout haut ce qu'il avait enfoui pendant des années ne l'avait pas soulagé. Sébastien frappa à la porte restée ouverte.

-Salut.

-Salut Seb.

-Tu vas bien ?

-Non je ne vais pas bien ! ragea Kieran en se passant les mains sur le visage.

-Toujours ta soeur?

Sébastien regarda son ami torturé lutter afin de se reprendre.

-Tu me racontes ? entra Sébastien sans refermer derrière lui.

-J'ai tellement honte de moi que je ne suis même certain de pouvoir te le raconter.

-Je te connais mieux que personne. Tu peux tout me dire.

Kieran se leva pour regarder la salle déserte en contre bas ou seuls s'affairaient le type qui déchargeait l'alcool et Annie, une employée qui pointait la réception de la commande.

- Cally m'a attendait sur le seuil de la porte hier soir. Je suis rentré à plus de vingt-deux heures. Je ne lui n'avais pas donné de clefs de la maison, elle a dû m'attendre dehors pendant des heures.

-Oh...

-Oh? Putain c'est tout ce que tu trouves à dire ? se tourna-t-il vers lui le regard explosif.

-Ne t'en prends pas à moi, je suis juste ici pour que tu sortes la colère qui te bouffe depuis que ton père est mort.

-Pourquoi tu me parles de mon père ? Ça n'a rien à voir avec mon père.

Kieran se déplaça dans la pièce, les poings serrés jusqu'à ressentir ses ongles à la limite de lui percer la peau. Sébastien le suivait des yeux derrière ses lunettes en dégageant la mèche de cheveux bouclée qui tombaient sur son front.

-Je crois que tu devrais essayer de parler de ton père avec Cally.

Kieran resta silencieux.

-Elle n'a que dix-sept ans. Elle a perdu tous ses repères et tous ses proches sauf toi. Au vu de la colère qui te ronge et de ton attitude, elle doit en baver.

Sullivan se détourna de son ami afin de lui dissimuler que ses mots faisaient mouches. Une petite voix intérieure lui soufflait qu'il avait raison. Dans un grand soupir, il ferma les yeux afin de chasser un peu sa colère. Aussitôt, la mélancolie s'immisça doucement sa place.

-Elle lui ressemble tellement.

-A qui? hésita Sébastien.

Kieran reprit place dans son fauteuil en silence, le regard triste.

-A ma mère. C'est plus fort que moi, quand je la regarde, je vois ma mère. Et quand je ferme les yeux pour essayer de chasser cette image, j'entends ce bébé qui pleure.

Sébastien resta silencieux en s'installant sur le fauteuil en face de lui.

-J'arrive encore à entendre ses pleures. soupira-t-il torturé, les yeux remplis de larmes. Elle était si petite, si fragile...Je suis en train de perdre les pédales.

-Peut-être que parler de tout ça avec ta sœur t'aiderait ?

-Parler, ça n'a jamais rien donné. soupira-t-il avec tristesse. Jamais je ne parlerai de ça avec elle. Elle.... il ravala ses larmes. Elle a tué ma mère.

-Kieran, elle est juste venue au monde. Elle n'est pas responsable de sa mort, ni de tout ce que tu as vécu.

Il passa ses paumes sur son visage afin d'en essuyer ses larmes. Il avait toujours pu être lui-même devant Sébastien. Son passé, ses blessures, ses faiblesses, son ami les connaissait toutes mieux que personne, peut-être même mieux que lui. Sébastien l'avait accueilli chez lui comme un frère lorsque ce jour là, il avait sonné à sa porte avec son sac de voyage. Il avait toujours pu parler avec lui, se confier lors des entraînements de foot. Sans lui, qui sait ce qu'il serait devenu, certainement pas le patron d'une chaine de clubs.

-J'ai besoin d'être un peu seul. lui demanda Kieran en mettant fin à la conversation.

Sébastien se leva pour rejoindre la porte sachant qu'il était inutile d'insister. Il se tourna vers lui avant de sortir.

-Tu es un mec bien, laisse-lui une chance de connaître le Kieran que moi je connais.

Kieran regarda son ami sortir et refermer derrière lui. Il posa les coudes sur son bureau pour enfuir ses doigts dans ses cheveux en les serrant laissant la tristesse et la mélancolie le submerger. Ce soir là, il quitta la boite encore plus tard qu'à son habitude. Le sac de Cally était posé dans l'entrée quand il rentra chez lui. Il se dirigea vers le couloir de nuit et ouvrit doucement la porte de la chambre de sa soeur. La jeune fille dormait, allongée sur le côté, face à la fenêtre. Il regarda quelques instants la couette se soulever et se baisser au rythme de sa respiration puis referma discrètement sans toutefois se rendre compte qu'en fait, elle ne dormait pas.

Cally avait contenu ses tremblements tout le temps qu'il était resté dans l'entrebâillement.

Nos blessuresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant