LI) Le corps sait

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Le mois de septembre pointe le bout de son nez et avec lui, reprend le rythme régulier des allers-retours à l'école. Gaëlle trépigne depuis une quinzaine de jours, dans l'attente d'enfin laisser glisser son nouveau stylo-plume girly, sur ses feuilles à gros carreaux. Elle retrouve le chemin de l'école avec l'esprit libre, puisque son papa dort toutes les nuits dans le lit de sa maman.

Je ne suis plus amère envers Théo. J'ai définitivement tourné la page « blondasse croqueuse d'hommes ». Notre couple ressort de cette histoire, plus fort, plus vrai et surtout, plus averti.

Quant à Flavio et Mélissa, aucune nouvelle d'eux depuis la fugue. D'ailleurs, je m'interroge souvent sur la suite des événements, mais m'interdis de trop m'investir auprès de ma nièce, de peur de devoir affronter ma sœur et bien évidemment, ma mère. Cette dernière est absente de ma vie depuis bien longtemps, mais toujours aussi présente dans ma tête. Ma fille me pose souvent des questions la concernant et lorsqu'elle perçoit le chagrin que cela m'occasionne, elle se tourne vers son papy.

Je pensais pourtant en avoir fini avec ma génitrice, seulement, la naissance de Gaëlle a malheureusement réveillé mes anciens maux. Je ne peux m'empêcher de me voir dans ses yeux et de constater à quel point mon enfance a été désastreuse. Heureusement, lorsque mon regard croise celui de mon mari, le soleil rayonne à nouveau dans mon cœur. Je me remémore notre complicité d'enfants, nos rires, nos disputes toujours éphémères et notre bien sûr, notre amour inavoué.

- Qu'est-ce qui te rend si rêveuse ? M'interroge Théo en déposant un gilet sur mes épaules.


- Toi mon amour. C'est me souvenir de mon enfance près de toi qui me rend si nostalgique, rétorqué-je en serrant ma tasse de thé et en respirant par la fenêtre, l'odeur matinale de la ville fraîchement réveillée.


Il me fait pivoter face à lui, libère mes mains de ma boisson chaude et encercle chaleureusement ma taille.

- Tu es bien mélancolique ce matin, je trouve. Quelque chose te tracasse ?

Des larmes roulent sur mes joues sans même que je ne les sente monter à mes yeux. Un sentiment de vide m'habite depuis mon réveil et je suis incapable de m'expliquer ce qu'il m'arrive. À la vue de l'inquiétude sur le visage de Théo, j'essaie de contrôler mes émotions, mais impossible. Mon ventre se serre, ma respiration se fait difficile, mes membres tremblent et mes larmes redoublent d'intensité. Je suis en train de perdre pied et je ne comprends même pas pourquoi.

- Eh ! Ma puce. Que t'arrive-t-il ? Pourquoi te mets-tu dans un état pareil ?

- C'est rien. Je dois être fatiguée, sangloté-je.

Je me blottis contre le torse de Théo et tente de calmer le tourbillon qui perturbe mes émotions. Puis, comme si un éclair venait de lui percuter le corps, il pousse brusquement sur mes épaules pour me regarder dans les yeux.

- Tu es malade ? C'est ça ? Tu es gravement malade et tu ne veux pas me l'avouer ?

La panique s'empare de lui et je ne veux surtout pas qu'il s'inquiète inutilement pour moi.

- Mais non ! Que vas-tu imaginer, lui dis-je tout en caressant tendrement sa joue. Je ne te cache rien, je... j'ai un coup de blues c'est tout. Juste un coup de blues. Je vais envoyer un message à Jim pour lui demander de gérer la journée sans moi et ensuite je retourne me coucher. Ne t'inquiète pas pour rien, lui intimé-je avant de regagner ma chambre.

Théo me quitte à regret pour se rendre à son travail et moi, je passe la journée à somnoler et à étaler toutes mes photos d'enfant sur le lit, afin de nourrir mon état perturbé.

Pourquoi je me sens si mal ?

Pourquoi subitement, une vague de nostalgie me submerge ainsi ?

- Ma chérie, tu es là ?

Je sursaute. Je m'étais assoupie et la voix de Théo me tire de mes songes, un peu trop brutalement à mon goût.

- Dans la chambre, grogné-je.

- Viens s'il te plaît !

Sa voix est étrange. Je dirais même plus, inquiétante. Je glisse mes doigts dans mes cheveux, en guise de peigne, saisis rapidement un élastique dans la poche de mon jean et ramasse maladroitement, ma chevelure en un chignon loose. Je le rejoins dubitative, dans le salon. Mon père et Sabrina sont à ses côtés et leurs présences affublées de mines grises me font frissonner. Je dévie furtivement mon regard d'eux pour prendre connaissance de l'heure exacte qu'il est, puis lorsque je constate sur la pendule, qu'il est beaucoup trop tôt pour que Théo ne quitte son boulot, la peur me tenaille les tripes.

- Gaëlle ? Il est arrivé quelque chose à Gaëlle ? Hurlé-je, les yeux hagards.

- Non, non, non ! S'exclame Théo en secouant la tête et en se précipitant vers moi.

Rassurée et encore sous le choc de ces pensées noires, j'éclate en sanglots dans ses bras.

- Mais, qu'y a-t-il bon sang ? Demandé-je à bout de force.

Théo prend une chaise, l'approche de moi et m'installe précautionneusement dessus. Je n'aime pas la tournure que prend cet entretien. Cette journée est surnaturelle. Je pleure sans raison et maintenant, j'attends une explication qui en regardant leurs têtes dépitées, est très certainement fâcheuse.

Mon père entre alors en mouvement. Il quitte la main de Sabrina et s'accroupit devant moi. Je cherche à fixer son regard et lorsque j'y parviens, je l'implore de mettre fin à cette insoutenable attente.

- Papou, s'il te plaît ! Dis-moi...

- C'est ta mère, ma chérie, me lâche-t-il dans un souffle.

Je le dévisage un instant comme pour déceler une explication cachée, puis l'information bien intégrée dans mon cerveau, j'étouffe un cri de ma main. Les bras protecteurs de mon père m'enroulent aussitôt et je me laisse bercer par ses mots pansements.

Je veux des détails. Je veux savoir ce qu'il s'est passé. Je veux, je veux, mais aucun son ne sort de ma bouche. Mon monde de petite fille vient de s'écrouler et j'ai subitement l'impression de le savoir depuis le lever du jour. Mon corps se préparait instinctivement depuis plusieurs heures. Il savait. Il avait senti la coupure de ce lien invisible qui existe entre une mère et sa fille. Malgré le rejet, malgré le manque d'amour, malgré les mots cinglants, malgré tout cela, mon corps pleurait la perte d'être un jour aimée par la femme qui lui avait donné la vie.

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Coucou !

Pas facile la vie de Paola...

Une nouvelle épreuve s'abat sur elle et elle n'est pas au bout de ses peines.

Bisous et à très vite ♥


Entrée dans la nuit (Terminé ) (Protégé par copyright)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant