Chapitre 28 : Loana

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J'étais pétrifiée de peur. Dans cette situation, j'étais largement en position de faiblesse, extrêmement vulnérable. Je n'avais aucun moyen de me défendre, aucun moyen de m'échapper.

L'étrange animal se déroula presque complètement et je pus apprécier avec horreur la taille de son corps. Le plus gros des jargs faisait office d'insecte en comparaison. Il avait quatre pattes musclées, surmontées de cinq griffes gigantesques qui s'enfonçaient dans la roche comme dans du beurre. Il avait l'air aussi à l'aise que s'il marchait sur la terre ferme.

Il finit de déplier son corps, auparavant enroulé sur lui-même, et une triple queue fouetta l'air, manquant de me balayer sur son passage.

Il fallait que je fasse quelque chose. J'allais me faire dévorer sans le moindre doute et je n'avais même pas d'échappatoire.

Le monstre émit un drôle de grondement et ses yeux, rouges jusqu'à maintenant, changèrent radicalement de couleur et devinrent dorés.

Son museau, surmonté du bec monumental, frémit et il le glissa sous mon cou puis sur mon ventre. Avant que je ne comprenne ce qui m'arrivait, je me retrouvai accrochée, non pas à la racine, que je commençai d'ailleurs à lâcher, à la tête de la créature.

Une fois certaine que je ne lâcherai pas prise, elle déplia son long cou avec délicatesse, moi qui pendais au bout et, lâchant la paroi d'une de ses pattes, me saisit avec une grande douceur entre ses serres.

J'avais l'impression de délirer. Je m'attendais à être dévorée vivante et voilà que ce monstre faisait attention à ne pas me blesser !

Le souffle coupé, alors que son immense patte entourait ma taille et que ses griffes s'entrecroisaient, assurant ma sécurité, il détourna les yeux et commença à grimper avec ses trois pattes restantes, sans se presser, aussi tranquillement que s'il se promenait. Il avait replié la patte qui me tenait contre son ventre et je compris avec ahurissement que c'était dans le but de ne pas me cogner contre la roche.

De temps à autre, il s'aidait des serres de ses ailes, toujours repliées sur son dos, pour assurer sa prise. Même si je savais qu'il n'était pas près de me lâcher, j'avais les mains fermement agrippées à ses doigts durs et froids.

Il n'avait pas l'air de vouloir me faire du mal, mais ma méfiance légendaire me hurlait qu'il ne me remontait à la surface que pour me dévorer plus tranquillement. Pour quelle autre raison agirait-il ainsi ? Je me préparai alors à me débattre afin de me débarrasser de son emprise et réussir à me faire la malle, le plus vite possible.

L'animal gravit les quelques pas qui nous séparaient de la terre ferme et s'aida de son cou pour se hisser sur le rebord. J'étais toujours collée à son ventre, d'où émanait une douce chaleur et mon cerveau tournait à plein régime, cherchant un moyen de m'en sortir vivante. Si seulement j'avais encore mon poignard avec moi ! J'aurais pu le blesser pour qu'il me lâche, une fois que nous serions en sécurité ! Malheureusement, toutes mes armes étaient tombées dans la rivière, excepté mon arc, toujours accroché en bandoulière sur mon corps.

Nous étions maintenant sur le bord de la gorge et, avant d'avoir pu tenter quoique ce soit pour me libérer, le monstre étendit la patte qui me tenait et me remit sur mes pieds avec toujours autant de douceur. Il me lâcha finalement et se contenta de me regarder avec curiosité.

Je reculai précipitamment, en titubant. Mes jambes étaient ramollies par la peur et j'eus du mal à rester debout.

La queue de la créature balayait le sol et elle me regardait si intensément que j'eus la désagréable sensation qu'elle pouvait lire la moindre de mes pensées. Je fus surprise par l'expression de son regard. Il témoignait d'une vive intelligence, et surtout, depuis qu'il était devenu doré, d'une bienveillance incompréhensible.

Il avança la tête vers moi en émettant un son étrange, à mi-chemin entre le grondement et le roucoulement.

Ne pouvant retenir plus longtemps mon instinct de survie, je fis volte-face et partis en courant, en direction de la forêt. Je me glissai entre les frondaisons et courus le plus rapidement possible. Derrière moi, le bruit d'un objet fendant l'air fit un bruit assourdissant, mais je n'y prêtai pas attention et continuai de fuir.

Je galopai pendant une bonne dizaine de minutes avant de comprendre que je n'étais pas poursuivie. Je posai mes mains sur mes genoux, essoufflée, et tentai de reprendre mon souffle. Même si je n'arrêtais pas de me répéter que je l'avais échappé belle, j'avais l'irritante impression d'avoir fait une bêtise.

Je fis finalement taire mes états d'âme et marchai plus tranquillement vers les profondeurs des bois.

Je me débattais avec deux buissons épineux depuis au moins dix secondes quand je débouchai soudainement sur une clairière assez grande pour accueillir – ô surprise ! – la bestiole à laquelle j'essayai désespérément d'échapper.

Celle-ci était tranquillement roulée en boule sur l'herbe. Son corps avait pris la couleur du gazon et était même tacheté de couleur pour imiter les fleurs. Elle n'essayait néanmoins pas de se cacher. Ses yeux dorés m'observaient avec toujours autant de calme et de sérénité.

Le cœur battant, me demandant pourquoi cette chose me suivait partout, si ce n'était pas pour me dévorer quand je m'y attendais le moins, je reculai lentement.

Les yeux fixés sur le monstre devant moi, je ne vis pas le rocher à mes pieds et trébuchai dessus. J'allais me retrouver les fesses par terre, mais une des trois queues de l'animal fendit l'air à une vitesse fulgurante, s'enroula autour de ma taille et me d'aplomb.

Avant que j'aie pu me remettre de ma surprise, il m'avait lâchée et sa queue avait repris sa position initiale, derrière son corps.

J'étais interdite. Mais qu'est-ce qui lui prenait, à cette chose ? Pourquoi cherchait-elle à me venir en aide ? Et pourquoi me suivait-elle partout ?

Ce qui était sûr, c'est qu'elle ne savait plus quoi faire pour s'attirer ma sympathie. Au bout de quelques secondes à se regarder en chien de faïence, elle se mit à se rouler dans l'herbe en ronronnant. Elle me jetait de fréquents petits coups d'œil, vérifiant que je ne m'étais pas échappée. Ses griffes traçaient des tranchées dans le sol, aussi épaisses que mon corps. Cette bête aurait pu me tuer en un éclair, en un battement de cils.

Elle se leva finalement et me tourna lentement autour. Son attitude n'était pas menaçante. Elle semblait plus nonchalante, curieuse, peut-être même un peu excitée. Je suivis le mouvement pour ne jamais me retrouver dos à elle.

N'y tenant plus, j'ouvris la bouche malgré moi :

— Qu'est-ce que tu me veux ?

La créature s'immobilisa et pencha la tête sur le côté, les yeux brillants. Une de ses queues, celle du milieu, la seule surmontée par une espèce de dard, s'avança lentement vers moi.

Tout d'abord effrayée, j'eus le réflexe de reculer, mais quelque chose me retint, comme un pressentiment. Je laissai donc ce dangereux membre m'approcher.

Quelque chose se réveilla dans mon corps. Comme une vieille habitude que j'aurais oubliée, un réflexe instinctif, inscrit dans mes gènes. Je tendis le bras. Il fallait que je le fasse. Je n'avais pas peur, je savais que je ne risquais rien. Pour la première fois de ma vie, j'avais confiance dans l'inconnu.

Les yeux toujours fixés dans ceux de l'animal, je le laissai enrouler sa queue autour de mon corps. Un dernier sursaut de méfiance me hurla que le monstre était en train de m'hypnotiser, qu'il allait me tuer, qu'il fallait que je me débatte, mais je le fis taire.

Et, alors que sa queue enserrait mon corps sans pour autant me couper la respiration, le dard s'abattit sur ma nuque et la transperça.

Une violente douleur se répandit immédiatement dans tout mon être et je perdis connaissance, me laissant aller contre l'emprise de l'animal.

Entre Ténèbres et Lumière {en cours de correction}Where stories live. Discover now