Retrouver son axe

Depuis le début
                                    

Si sa question parvint bien jusqu'à mes oreilles, ça s'arrêta là. Hors de question que quelqu'un d'autre voit ces putain de photos. Même Zoé. Personne à part moi. Et quand je serai seul de préférence.

- Alex ?

- Nope.

- Alex ?

- Nope !

- Comment ça « Nope » ?

- Nope ...

Mon troisième « nope » resta en suspens. C'était maintenant à Zoé de nous regarder tour à tour, sans comprendre ce qui se passait. 

- Vous m'expliquez là ? De quelles photos tu parles Lise ? Et pourquoi Alex veut pas que je les vois ?

Lise se mit à rougir délicieusement avant de lui répondre

- Parce que je suis toute nue dessus

- Et alors ? Je t'ai déjà vue un million de fois à poil Lise, on s'en fout. Mais attends !! Depuis quand Miller te mitraille ?

Un grognement étrange et involontaire vibra dans ma gorge. Aussitôt apaisé par la main de Lise qui se posa sur la mienne.

- Pas Alex, Zoé ! Sandro ...

Si vous n'aviez jamais vu un petit bourdon s'énerver contre un assaillant invisible, c'était maintenant chose faite. Zoé brailla d'un coup tout en agitant frénétiquement ses bras dans tous les sens, pendant que ses minuscules jambes trépignaient nerveusement. Toute cette énergie contenue dans un si petit corps était déroutante. Et terriblement fatigante. Je me fis secrètement la promesse de ne jamais en faire mon ennemie, tout en embrassant machinalement la paume de Lise. Avant de la poser contre ma joue et de fermer les yeux une seconde.

A la tête que faisaient les deux cousines quand je les rouvris,  je pris brutalement conscience du geste que je venais de faire sans y penser. Et du sentiment de bien être qu'il m'avait naturellement apporté.
J'attendis ensuite que la panique déferle et me broie le bide, mais rien ne vint.
Plutôt cool ...

L'air de rien je reposai la main de Lise sur le canapé et attrapai les photos. Il fallait que je fasse diversion, les filles me regardaient bien trop bizarrement. Je pris donc à regret la plus soft des deux et la tendis à Zoé. Qui resta muette presque dix secondes, une performance rare pour elle, avant de siffler entre ses dents comme éleveur bovin du Grand Ouest

- Bah ma salope, t'es une vraie petite bombasse la-dessus. C'est l'autre bourrin qui t'a prise ? Il avait peut-être un talent pour quelque chose finalement, à part pour la connardise évidemment, là il y a toujours excellé.

S'ensuivit une scène étrange, dans laquelle Lise et Zoé décortiquèrent la pose, la lumière, les effets, l'expression du mannequin, avant de passer à la suivante qu'une main agile vint récupérer délicatement sous ma fesse gauche où j'avais réussi à la planquer.

Quand Nathan débarqua, tout le monde avait retrouvé son calme, du moins en apparence car si les deux cousines discutaient tranquillement de tout et de rien, moi je restai bloqué sur la visite de Sandro et de tout ce qui en avait découlé, silencieux et immobile.

- Bon, pas de bain de sang finalement ? Pas de carcasse à aller enterrer au fond d'un bois? J'avais pris ma pelle pourtant, j'étais chaud bouillant, vous valez rien les filles !

Je ramassai discrètement les photos de Lise et les glissai dans ma poche arrière l'air de rien, pendant que Nathan embrassait les filles, visiblement soulagé. J'avais besoin de bouger maintenant, de faire repartir cette journée trop bizarre sur ses rails et pour ça, un remontant s'imposait. Mes jambes me portèrent instinctivement jusqu'à la desserte sur laquelle reposaient les alcools forts et avant même d'avoir eu le temps de proposer quoi que ce soit aux autres, je descendis d'une traite un verre d'un bourbon bien trop précieux pour être apprécié dans ces conditions. Ce ne fut qu'en reposant la carafe après m'être servi un second verre que je réalisai que quelque chose n'allait pas. Le silence s'était fait dans mon dos, mes 3 visiteurs alignés en rang d'oignon sur mon canapé me fixant bizarrement. Je suivis des yeux ce qu'ils regardaient, baissa la tête, et vis à mon tour le verre trembler dans ma main, se faisant s'entrechoquer les glaçons que je ne me souvenais même pas y avoir mis. Lise se leva dans ce silence religieux et avança jusqu'à moi sans me quitter des yeux, posant sa main toute douce sur la mienne pour stabiliser mes tremblements et m'aidant à reposer mon verre sur la surface polie.
Nathan et Zoé en profitèrent pour s'éclipser discrètement et nous nous retrouvâmes enfin seuls, dans la luminosité déclinante de cette fin d'après-midi de décembre.

L'ambiance changea alors, se muant en quelque chose à la fois de très intime et de très intimidant, annonciateur de ces moments très spéciaux où l'on sait que tout s'apprête à changer irrémédiablement. La voix de Lise rompit le silence, mais tout en douceur. Elle aussi avait changé, c'était imperceptible mais bien là. Une nouvelle assurance se dégageait d'elle, sereine, paisible, terriblement évidente.

- Ca va?

Je hochai simplement la tête, plus pour vérifier que mon corps répondait toujours que pour lui apporter une réponse.
Parce que non, rien n'allait, ou plutôt, tout allait de traviole et j'avais besoin qu'elle remette tout d'aplomb très vite. Cette journée pour commencer. Et ma vie en général dans la foulée. Elle le comprit, quand je la vis se rapprocher tout à fait de moi et poser sa tête contre mon coeur.

Quand enfin elle passa ses bras autour de ma taille et aligna parfaitement nos deux corps, je sus que ma planète venait de retrouver son axe.

Puissance 1 000 (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant