20- Je t'utiliserai

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Media : Ella Fitzgerald & Louis Armstrong: Dream A Little Dream Of Me

C'en est assez ! Je me reprends. Pleurer n'a jamais été ma tasse de thé. Je ne vais pas passer le reste de mes jours à verser des larmes pour un homme qui m'a utilisée. À ses yeux, je n'ai été qu'un vulgaire mouchoir. Je comprends enfin l'expression qui en découle.

Les domestiques me sourient quand, très tôt ce matin, je fais mon entrée en pyjama dans la cuisine. Après leur avoir demandé si cela ne leur dérange pas que je déjeune ici, je m'installe. Là, au milieu du brouhaha et des éclats de voix, je bois mon café. L'or noir a raison de moi, je reprends le contrôle de ma vie. Pas question d'avoir des rancoeurs, pas de remords, pas de regrets. Ma relation avec Julien était un échec, mais dans la vie, celui-ci est inévitable, n'est-ce pas ? On ne peut aimer sans se blesser. Quand à Hadrien, il s'est montré honnête depuis le début. Un véritable ami, malgré tout. J'aimerai qu'il me rende ma liberté, certes, mais je ferai bon usage de ma position dans le Pavillon. Cependant, je ne me ferai plus utiliser, c'est moi qui est le contrôle. J'aiderai Hadrien à être libre, mais en retour, je profiterai de son amour envers moi pour anéantir la N.F et toutes ses lois.

C'est les idées claires, pleine de bonnes intentions et avec un plan sordide en tête, que j'entame cette nouvelle semaine.

La Cérémonie de Passation approche, elle est dans deux semaines. Maman travaille d'arrache pieds dans la Salle de Réception, elle a peu de temps à m'accorder. Je la vois prendre des notes. Donner des directives. Passer des coups de fil. Plus autoritaire que jamais, elle, si douce !

Hadrien ne s'est pas montré depuis notre conversation dans son office. Comme s'il m'évitait ou bien, peut-être me laisse-t-il le temps de digérer la vérité. Elisa et son mari croulent sous les réunions de travail. Moi, je traîne dans le Pavillon. Jamais cet endroit ne m'a paru si vide, malgré le nombre de domestiques qui s'affairent à leur besogne. Je décide de me rendre dans l'aile Est, j'y suis allée que très rarement. Kayleen est surprise de me rencontrer ici. D'autres personnes semblent sur le qui-vive.

Dans le couloir, je perçois des gémissements. Discrètement, je regarde ce qui se passe. Un petit garçon pleure à chaudes larmes. À genoux, devant lui, se tient Hadrien qui le console. Il essuie les larmes avec ses doigts et le prend dans ses bras. L'étreinte terminée, mon ami dépose un baiser sur le front du gamin. Je sors de ma cachette et accours vers Hadrien. Quand il me voit, il sourit. Il me prend dans ses bras tendrement. Je respire son parfum épicé. Il m'a manqué, me dis-je. Les yeux rivés sur lui maintenant, je note qu'il a un nouveau tatouage. Cette fois, une phrase qui débute dans le creux de son cou et se perd sous sa chemise. Intriguée, je tente de lire ce qui est écrit. Il comprend ce que j'essaye de faire et rigole de bon coeur.

— Capucine, ce qui me plaît chez toi, c'est ta curiosité illimitée.

Sur ce, il abaisse le col de sa chemise pour que je lise : « vulnerant omnes ultima necat »

— C'est en latin. Ça signifie « Toutes blessent, la dernière tue. »

Cela fait référence aux femmes ? demandé-je, pensant à moi et aux peines que je lui ai infligées.

— Non chérie, dit-il en caressant ma joue, elle parle du temps qui jamais ne s'arrête. Ce sont les heures qui nous blessent, elles nous vieillissent. Et elles nous rappellent que la dernière heure pourrait arriver à tout moment.

— Très philosophique. Elle te va parfaitement.

Et c'est vrai ! Hadrien cet intellos romantique, un brin rockeur et artiste ! Il m'étonnera toujours.

— Comment tu vas depuis ?

— J'ai le coeur en bouilli, mais...je vais mieux, rigolé-je.

— Cela fait partie de ton charme. Tu as une force qui résiste à toute épreuve.

LIBRE  #wattys2017. Série Brèches (terminée, en correction)Where stories live. Discover now