6- Loin de moi

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Quelques années auparavant

Debout sur sa terrasse, jumelles à la main, l'adolescent admirait la jeune fille qui dansait sous la pluie. Cette dernière avait les bras levés vers le ciel et tournoyait sur elle-même.

Comment par un temps pareil, son amie pouvait-elle rester à l'intérieur de chez elle ? Son jardin était un tel havre de paix, une invitation à courir nus pieds dans l'herbe. Ce qu'elle aimait particulièrement lorsqu'il pleuvait ainsi ! Ensuite, elle irait prendre un bon bain chaud, dans la luxueuse baignoire de Madelyne. Mais pour l'heure, elle se délectait de la bruine.

Hadrien avait retenu le prénom de la jeune fille. Elle hantait ses pensées depuis qu'il lui avait sauvé la vie. Dès qu'il en avait l'occasion, lorsque cette dernière se trouvait chez son voisin, il se postait sur la terrasse pour la regarder. Il était bien trop empoté pour risquer de lui parler. La rouquine était téméraire, lui, un introverti. Elle irradiait de beauté, lui n'était qu'un gringalet à lunettes, recouvert de boutons.

Une fois de plus, il demeurait là, désireux d'en apprendre plus sur elle. Déjà, il avait su qu'elle aimait la danse. Et un jour, il l'avait surpris en train de dessiner sur un carnet à reliure. Contre un arbre, la belle était assise, le cahier sur ses jambes. Quand elle réfléchissait, elle entortillait des mèches de cheveu autour de son index. L'idée paraissait arriver, elle se mettait à griffonner passionnément. Hadrien, lui, prenait notes de chaque détail, appris chaque fois qu'il la voyait. Il écrivait tout dans son journal.

Et que dire du soir où il avait eu l'occasion de la voir de plus près ? Elle dansait un solo pour une des représentations de son père. Dans sa longue robe blanche, elle esquissait gracieusement des pas. Ses cheveux bouclés roux lui donnaient une allure presque sauvage. Sur son visage, on pouvait lire la joie qui émanait ; elle était faites pour cela. L'espace d'un instant, leurs yeux se sont croisés. Il lui sourit. Elle le lui rendit.

Quel dommage ! Elle est de classe moyenne, se dit-il. Il ne la vit donc pas lors des repas pour les familles de magistrats ou au théâtre.

Elle devait avoir 12 maintenant. Il en avait 14 ans. Il passa encore la matinée à l'épier, au lieu d'étudier la géométrie.

Dans l'embrasure de la porte, sa mère Elisa, jeta un oeil désapprobateur à son fils. C'en était trop ! Voilà qu'il est encore occupé à épier la fille du village ! Elle avait un plan.

*

Cela faisait des semaines que le jeune Hadrien n'avait pas vu la belle Capucine chez Madelyne. Attablé à son bureau, le jeune homme faisait rouler son stylet dans ses mains. Sur sa tablette numérique, il n'avait encore rien écrit. L'écran lumineux affichait une page blanche.

Finley lui avait apporté par deux fois son repas, il les avait tous renvoyés. Il n'était pas d'humeur à étudier, ni à jouer du piano, ni à déjeuner. Sa mère lui rabâchait les oreilles qu'il était trop introverti et distrait. Mais que pouvait-il ? Lutter contre sa propre nature ? Être quelqu'un d'autre ? Et puis, Hadrien s'ennuyait avec les jeunes de son âge, et la réciproque était vraie. Ce jeune homme leur parlait de choses étranges sur la nature et l'astronomie, parait-il. Et puis, son titre en tant que fils du Dirigeant Suprême, n'aidait en rien. Les autres avaient peur de lui, soit ils l'utilisaient pour arriver à leurs fins. Aussi, il s'était résolu à demeurer seul.

Sa mère, Élisa, entra dans l'office. À sa démarche guindée, ses lèvres pincées, ses yeux incendiaires, il comprit qu'elle était de mauvaise humeur.

— Hadrien ! Finley m'a averti que tu refuses de te nourrir.

— Je n'ai pas d'appétit, mère.

LIBRE  #wattys2017. Série Brèches (terminée, en correction)Onde histórias criam vida. Descubra agora