5- Ce palace, ma prison

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Enfant, je passais mon temps à dire à mes parents que Madelyne était privilégiée. Sa maison était un palace, son jardin, une oeuvre d'art, mon endroit favori. Je la jalousais. Je n'arrêtais pas de lui proposer d'échanger nos vies, le temps d'une semaine ou deux. Histoire de marcher dans ses souliers, d'être dans sa peau et elle dans la mienne. Non pas qu'elle ne le désirait pas, au contraire, mais c'était impossible ! Pour moi, elle menait une vie de princesse. Elle n'avait qu'à souhaiter quelque chose et elle l'obtenait aussitôt. Et pourtant... Pourtant, elle avait le sentiment d'être en prison. Ce que je découvris au fil du temps.

Bien que je vivais dans une maison des plus ordinaires, mes parents m'ont élevée comme quelqu'un d'unique et de valeur. Papa me fit sentir différente. Il portait de l'importance à mes projets. Il disait que mes rêves étaient dignes d'être réalisés. Finalement, je n'aurai échangé cela pour rien au monde.

Un jour, maman m'a expliqué que certains d'entres nous avaient des brèches dans leur identité. Des fissures, créées à cause de nos parents, de nos amis, de nos professeurs. De simples mots prononcés, mais pas dépourvus de pouvoir. Des adjectifs qui se sont ancrés dans la tête. Ils ont pris possession de nos croyances, ont créée des trouées dans notre personnalité. Pour se protéger, les même mots sont devenus des forteresses. Des murailles. Des géants qui gouvernent nos actions et définissent ce que nous sommes. Tout cela pour compenser ces manquements et ces carences. Maman m'a fait comprendre que c'était le cas de Madelyne. Malheureusement, elle est un cas parmi tant d'autres.

Personnellement, je n'ai pas eu ce problème. Sans culpabiliser, je peux affirmer que je suis même bien dans ma peau. Je suis en osmose avec ma personnalité. Et même si c'est assez rare chez les femmes, j'aime ce que je suis. Mais avant j'étais libre, ça c'était avant ! Désormais je suis embastillée, enfermée dans une cage dorée, au milieu de la famille ABAHAÏ.

À table avec mes beaux-parents, que je ne considère pas comme tel, je déjeune dans le silence. Nous sommes dans la Salle à manger familiale. Un lieu intime, que peu de gens ont partagé avec le Dirigeant Suprême. Elle se situe au deuxième étage, près d'une petite cuisine, connectée à la principale en dessous, grâce au monte-plat. Je n'aime pas tellement cet endroit-là. Elle me file le cafard. Les toiles bleu ciel, les rideaux lourds et sophistiqués, donnent à cette pièce son caractère austère et froid. Il manque cruellement de vie. Les tableaux eux-mêmes ne semblent pas livrer de secrets et d'histoires. Aucune émotion. J'ai bien envie de tout repeindre !

Dans ces moments-là, ma famille me manque. Ma salle à manger aussi. D'un point de vue décoration, elle n'a rien à envier à celle-ci. Chez moi, sur le mur est collée une affiche, dénichée par maman au marché aux puces.

Je réalise avec effroi que j'étais bien plus riche que la famille de Madelyne n'a jamais été. Il est encore un peu tôt pour se prononcer, mais je suis pratiquement sûre que c'est le cas ici.

L'atmosphère est froide, sans états d'âme. Le visage des domestiques est morose, leurs traits tirés. Les yeux du Dirigeant Suprême sont remplis de ténèbres, ceux de sa femme le sont tout autant. Et que dire d'Hadrien ? Son sourire est artificieux. 

— Dîtes nous très chère, quels sont vos projets pour l'avenir ? questionne le Dirigeant, ses doigts pianotent d'impatience sur la table.

— Être heureuse, réponds-je assurée.

— Henri ! la malheureuse n'a pas eu l'habitude de se projeter dans le futur. Vous imaginez bien ! Elle n'a pas eu le privilège de s'instruire correctement.

— Je trouve que c'est un programme for intéressant, intervient Hadrien.

Il m'adresse un sourire franc, que je ne lui retourne pas. Mon sang fait un tour. Je serre les dents.

LIBRE  #wattys2017. Série Brèches (terminée, en correction)Where stories live. Discover now