Chapitre VIII : Délibération - Deuxième Partie

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Le désarroi du jeune homme fut indicible. Littéralement. Muet, il observât, pendant qu'on lui détachait ses menottes, la pièce qui, à l'inverse de son occupant, subsistait comme dans ses souvenirs : une vastitude démesurée pour un ameublement considérablement moindre constitué d'un bureau au centre, d'une bibliothèque murale et de quelques fauteuils dispersés çà et là dans l'espoir de rendre l'endroit plus chaleureux, en vain. La seule particularité de la pièce étant la gigantesque fenêtre donnant vue sur l'avenue Aithem et devant laquelle siégeait le bureau. "Ça ira m'sire ? questionna Jafas sur un ton étonnamment docile. Vous v'lez qu'on reste avec vous ?"

Sans lever les yeux de sa paperasse, l'homme accoudé sur le bureau déclina la proposition d'un bref mouvement de tête puis redevint immobile. Il fallut attendre le départ des deux gardes, accompagné de quelques flatteries postiches, pour qu'il consente alors à jeter un regard au nouveau venu. Libérée de son sceau aphasique, la mâchoire de ce dernier s'ouvrit pour déverser une bile jusqu'alors réprimée.

"Taisez-vous" avorta le conseiller.

Pantois, le jeune homme obéit. Les réponses n'allaient pas être obtenue facilement, place à la diplomatie.

Sire Tinates se leva promptement. Il n'était pas spécialement grand, pas bien bâti non plus. Pourtant sa prestance naturelle vous inspirait une certaine crainte, car derrière l'homme d'âge mûr se cachait un commandant aguerrit dont la vigueur au combat demeurait plus qu'un lointain souvenir. Son visage, fermé à l'instar du personnage, était tapissé d'une fine barbe blanche semblable à une pellicule de neige sur sa face burinée. Des yeux perçants surplombés par deux sourcils froncés jugeaient le Méridien.

"Mettons les choses au clair, reprit-il de son indéfectible ton solennel, je n'ai nullement l'intention de vous brosser dans le sens du poil. Encore moins celle de vous ménager. Votre fougue naturelle couplée à votre arrogance m'a toujours déplu, si à cela devait s'ajouter votre éventuel parjure, considérez les limites de ma patience bien en deçà qu'à l'accoutumée."

Le conseiller, fixant toujours son opposant des yeux, se dirigea vers les fauteuils près de la bibliothèque et, d'un geste de la main, invita ce dernier à l'imiter. "Toutefois, par acquis de conscience j'ai décidé de vous accorder une chance, une seule, dans l'optique de me convaincre pour, qui sait, gagner un allié, ce qui ne me paraît guère être un luxe dans votre position. Je vous sais présomptueux, effronté, grossier mais jamais je ne vous ai perçu comme quelqu'un de foncièrement mauvais. Corroborez ma vision et mon soutien sera votre. Rivalisez d'adresse et je m'assurerais personnellement qu'aujourd'hui soit le dernier que vous passez à l'extérieur de votre cellule"

Sous ses grands airs durs, cette baderne de Tinates paraissait sincère. L'homme lissa le bas de son surcot de velours blanc avant de s'installer. Sur chacune de ses épaules était cousu un hobereau noir, une tête de tigre parait sa poitrine. Hagron réalisa l'absence de son armure, posée non loin sur un support en bois fraîchement installé. Ainsi le conseiller avait déjà pris ses aises.

"Prenez place." commanda-t-il au Méridien conditionné à rester debout. Coopératif, Hagron s'assit. Ce fut sans aucun doute la sensation la plus agréable ressentie ces derniers jours.

"Pourquoi occupez-vous le rôle d'un Impartial ? Demanda le jeune homme en se laissant tomber de toute sa masse.

— Pour diverses raisons. En premier lieu car entre mon passif militaire et mon statut d'ambassadeur j'ai moi-même siégé en tant qu'Impartial. Secondement, le conseil occupe une place prédominante dans la gestion des Piliers en l'absence du Médiateur et de ses Méridiens, cela vous le savez."

Sire Tinates saisit une bouteille d'eau de vie présente au pied de son fauteuil, accompagnée de deux verres. Il en remplit un qu'il tendit à son convoqué, fit de même avec le second qu'il conserva. " Je sais également que le Conseil n'occupe pas la place de jury dans une affaire la concernant, opposa Hagron.

L'effondrement des Piliers Tome 1: Le Déclin d'un AstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant