Chapitre VIII : Délibération - Première Partie

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    L'eau croupie s'égouttait au travers des recoins de la pièce, serpentait le long de la roche érodée pour finir sa course sur le buste de Hagron. Le jeune homme, las, lorgnait la grille de son étroite cellule. Qu'elle disparaisse subitement sous ses yeux ne l'aurait nullement surpris, tant les récent évènements concouraient en improbabilité. Enfin ! Pour cela eut-il fallu encore que cette dernière joue en sa faveur. La porte resta là où elle était.

Le jeune homme épousseta d'un geste machinal sa tunique souillée par la sueur et le sang séchés, décida de porter son regard sur autre chose que cette grille définitivement statique. Un choix sitôt désavoué par le Méridien face à l'exiguïté de l'endroit. Étouffée par trois murs de pierre ternie et encroutés de salpêtre aussi froids que revêches, la cellule au sol esquinté ne respirait guère le confort. Pire encore, son asymétrie confinait l'espace, au point que Hagron senti cette haïssable sensation d'oppression lui comprimer les poumons. Et puisque la chance s'était récemment éprise de lui, l'angoisse inspirée par ces parois suffocantes eut sitôt fait de se transformer en une déferlante de questions. Parmi elles, "qu'advenait-il de son procès ?", "qu'allait-on faire de lui ?", "qui se cachait derrière cette histoire ?" ou encore "où diable se touvait Aarius ?".

La première se voulait rhétorique. En effet, il y avait peu de chance pour que son jugement ait été mis en suspens. Une gigantesque farce, voilà de quoi il s'agissait ! Une mise en scène soigneusement orchestrée, dans laquelle son sort avait dû être décidé depuis le début. À ses yeux tous figuraient coupables. Y compris Jobah Nidor. Ce couard boursouflé ne délia sa langue à aucun moment de l'audience malgré les secrets en sa connaissance. Que savait-il d'ailleurs ?

Cette nouvelle question s'ajouta au lot des précédentes. Que la mort les emporte tous ! S'impatienta Hagron, je serais l'exécuteur de ma propre justice.

Plus aisé de promettre que d'agir dans cette cage de pierre étriquée.

Bien sûr il aurait élaboré un quelconque plan d'évasion si cette foutue cellule n'écrasait pas ses réflexions à l'instar de ses poumons.

Embrumé, le jeune homme préféra se lever du matelas chanci en guise de lit pour s'éclaircir les idées. Trop rapidement. Prit de vertiges qu'une récente inanition ne faisait qu'empirer, il s'étira de toutes ses forces le temps de recouvrer une vision plus nette. Chose faite, il se mit en quête d'air frais. Le vulgaire trou recouvert de barreaux rouillés, suffisamment espacés pour y passer un bras, voire une tête, ferait amplement l'affaire.

Il se dirigea vers ce semblant de fenêtre, tout languide qu'il était, pour la cinquième fois de la matinée. Ça reste préférable à l'obscurité des geôles du palais, observa le Méridien d'un éclair optimiste. Pour la cinquième fois, à défaut de choix, il porta son regard sur l'imposant Gnosom de l'hôtel de ville, gigantesque tour quadrangulaire surplombant le tribunal. Beige et blanc, sa hauteur de cent pied en faisait le bâtiment le plus imposant du quartier Nord-ouest. Il présentait sur deux de ses faces un cadran solaire en pierre, tandis que les deux autres affichaient des fresques chamarrées dont le message demeurait encore incompréhensible pour bien des personnes. Hagron était de ceux qui s'étaient résignés à interpréter, si tant est qu'il y en eu un, le sens de cette pluie de motifs colorés se rapprochant plus de la dégradation publique que de l'ébauche artistique.

Le toit, un bulbe recouvert de tuiles curvilignes aux teintes vert foncé, s'était vu drapé d'une oriflamme noire et blanche. Noir pour le feu Médiateur, blanc pour le trône désormais vide. Hagron se demanda si les obsèques d'Orcéus auraient lieu avant ou après son jugement. Et surtout, serais-je encore vivant pour y assister ?

Au pied du Gnosom, les passants fourmillaient, chacun vacant à ses activités comme à l'accoutumée. Hagron maudit cette populace qui savait faire usage de flagorneries face au Médiateur quand s'en voyait l'intérêt, mais feignait à peine le chagrin à la mort de celui-ci. La même engeance qui avait assisté au procès du Méridien comme l'on vient se distraire devant une pièce de théâtre. Après tout, qui s'inquièterait du sort d'un présumé assassin ? Pensa Hagron. Car aussi respectable fut leur statut, Aarius et lui appartenait désormais au rang des parjures aux yeux de tous, ici à la Citadelle. Un point de vue qui allait inexorablement se partager dans chaque dimension et salir à jamais leur nom. D'ailleurs seul le sien aurait dû être connu, de nom, s'il n'avait scandé celui d'Aarius sous l'éclat de son impulsivité. Une erreur parmi tant d'autres.

L'effondrement des Piliers Tome 1: Le Déclin d'un AstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant