Chapitre V : Espoir - Première Partie

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Onze ans plus tard.

La bête renâcla lorsqu'elle constata la fuite de ses proies. Elle gratta au sol de ses onglons ; grommelant et reniflant bruyamment ; retourna la terre pour y enfoncer sa défense centrale.

Exactement en face, tapis derrière un buisson, l'archère et sa sœur suspendaient presque leur respiration. La jeune femme fixa la petite et plaqua son index sur sa bouche. Les sucarnaux étaient réputés pour leur capacité à détecter les vibrations à l'aide de leurs dents. Un haussement de voix leur serait fatal.

Depuis le matin déjà l'animal les traquait sans relâche à peine eurent-elles franchis le seuil boisé de la forêt. L'archère s'était pourtant appliquée à ne pas pénétrer par les sentiers classiques, quitte à sacrifier une heure de marche supplémentaire et accéder à une entrée moins usuelle, pour ainsi éviter les désagréments de la faune habituée aux va et viens des visiteurs, moins intimidée par ces derniers en conséquence. Un chemin boueux et caillouteux qui leur tordait les chevilles à la moindre incartade. Et à quel avantage ? Quelques instants suivant leur introduction la brute chargea droit sur elles avant de les pourchasser à travers les bois. Bien sûr l'archère lui avait décoché deux flèches dans la hure, une dans la garde avant, et un nombre incalculable dans l'armure, mais la bête semblait parfaitement insoucieuse des projectiles qui logeaient dans son corps. Au contraire cela ne fit même qu'entretenir son animosité instinctive. Non, pour abattre un surcarnal, il fallait viser le tronc de vaisseaux sanguins qui prenait naissance à la partie dorsale de son cou. Autrement dit entreprendre un suicide.

La jeune femme sonda les parages. À sa gauche, couvert par une distance d'un jet de pierre, se dressait un chêne massif et large. Un peu plus loin à l'est, elle le savait, une clairière coupait la forêt en deux. Une rivière dont l'agitation du courant était perceptible y faisait office de démarcation naturelle. Il s'agissait donc de pousser la bête à charger vers l'arbre puis, si la chance se montrait favorable, espérer voir sa défense s'enfoncer dans l'épaisseur du tronc. Tout ne serait alors plus qu'une question de rapidité avec laquelle les filles fonderaient en direction du court d'eau pour le traverser. Vraisemblablement un pari risqué.

L'archère épia les gestes du sucarnal dans l'attente d'une fenêtre opportune. Celle-ci ne tarda pas. Après un moment d'examination, l'animal se retira du sol. Il agita la hure pour se débarrasser des résidus de terre, faisant entendre son cri. Maintenant ! S'encouragea la jeune femme. À tâtons, elle chercha une pierre, plus rapide à lancer qu'une flèche, sans quitter sa cible du regard. Elle senti du creux de sa main un caillou suffisamment gros pour faire l'affaire, se retourna.

C'est là qu'elle aperçut les loups.

D'abord trois. La tête haute, les oreilles dressées et les yeux perçants scrutant singulièrement la scène. Puis un quatrième se révéla, émergeant d'un breuil sans émettre le moindre bruissement. Un cinquième suivit, lui-même rejoint par deux autres. Très vite, ce fut une meute entière qui surgit des fourrés pour cerner l'endroit. L'archère sentit la terreur envahir sa sœur lorsque celle-ci lui empoigna le bras. "Ils ne sont pas là pour nous" la rassura-t-elle. En effet, l'alpha du groupe s'approcha d'elles, huma l'air en leur direction et se désintéressa presque immédiatement. Sa curiosité se porta sur les trainées de sang encore humide dans la terre. Le loup flaira la trace, leva le museau et grogna lorsqu'il vit le surcarnal, ce dernier bien trop focalisé sur sa traque pour prendre conscience du danger imminent.

Le meneur contourna la cachette de la jeune femme. Sa meute suivie. Doucement, à pas feutré, ils ceignirent le prédateur subitement devenu proie. Chaque mouvement était consciencieux, prudent. La troupe progressait à l'unisson, comme se conformant scrupuleusement à une formation établie par leur chef. Lorsque le sucarnal repéra la présence des loups, trahie par la cassure d'une branche morte, il était déjà trop tard. Encerclée, la bête se mit en position de défense, tournant sur elle-même pour faire face à cette soudaine vague d'ennemis.

L'effondrement des Piliers Tome 1: Le Déclin d'un AstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant