Chapitre V - Espoir Deuxième Partie

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Une heure fut nécessaire pour longer à nouveau la rivière. Une autre pour retrouver la route.

Au détour d'un fourré, le cadavre du sucarnal gisait, le flanc exhibé déchiqueté et évidé de ses organes. Il avait emporté dans son trépas trois des assaillants, en témoignaient les corps inertes de loup dont la posture ne laissait aucune place au doute sur l'état de leur colonne vertébrale. Hellerine étudiait d'un œil malaisé ce spectacle sinistre. Sa sœur ne chercha pas à l'en détourner. C'était de ces inévitables vérités dont on ne pouvait se préserver éternellement, et il n'était pas prématuré selon elle de l'y confronter, bien au contraire.

À l'aller, l'archère avait pris soin de disposer des attrapoires, trois exactement, une prévoyance qui s'avéra fructueuse aux vues des lapins suspendus par la nuque qu'elle dénicha. Elle les ficela d'abord à sa ceinture puis, lorsqu'elle et la benjamine rallièrent l'entrée de la forêt, à la jument qui broutait sagement là. "Nema !" s'exclama Hellerine en enlaçant son encolure. La monture souffla bruyamment des nasaux dans la nuque de l'enfant en guise de réponse. "Excuse nous de t'avoir fait attendre, on a vécu une grande aventure " chuchota la petite dans l'oreille de son compagnon de route. Et elle s'engagea dans un récit détaillé de la journée. L'archère sourit intérieurement, sachant pertinemment que, de retour au bercail, chaque membre de la famille aurait également droit à sa version ponctuée de questions, exagérations et autre leçon de vie. Telle était la personnalité de Hellerine, cette adorable et atypique petite sœur.

Une fois la jument sellée et harnachée les deux filles s'acheminèrent en direction de la maison. La tête de Nema dodelinait au gré de la balade, diffusant la forte odeur de son cuir. C'était une vieille poulinière à la robe blanche et au pelage roux, d'abord utilisée pour la reproduction puis comme bête de somme. Heureusement, papa avait négocié son prix, à peine une demie poignée d'omniaure pour cet affectueux canasson qui malgré ses apparences de rosse s'avéra être d'une grande endurance.

Les sœurs effectuèrent un détour non nécessaire mais fort appréciable pour longer les côtes sableuses qui bordaient le territoire. À califourchon sur la partie avant du siège, entre les rênes et son ainée, Hellerine s'appuyait au pommeau de la selle. "Attention, tu gênes Nema dans sa marche en t'appuyant sur son garrot" réprimanda l'archère. La petite se redressa, presque inattentive, absorbée dans la scrutation d'un océan fougueux dont l'écho du tumulte parvenait comme une multitude de murmures inarticulés. "Il y a quoi de l'autre côté ? demanda Hellerine contemplative.

—Rien.

—Tu penses ?

—Je sais."

L'enfant orienta la tête pour lancer un œil désireux de réponses derrière elle. Sa sœur poursuivit : "Papa t'expliquera quand tu passeras à la géographie. La Lisière est une boule ; si tu pars d'un point et que tu marches en ligne droite, tu reviendras systématiquement à ce même point. C'est aussi le cas pour tous les autres Piliers. Prendre la mer ici, en prenant en compte que nous sommes au nord de la carte, te conduira donc au sud." Nema hennit comme si elle approuvait la leçon.

"Et il n'y aurait rien d'autre sur le trajet ? Uniquement de l'eau ?"

L'archère acquiesçât. "Bien sûr c'est différent pour les Piliers, reprit-elle, qui eux sont plus vastes, plus développés. La Lisière est un cas un peu à part, tu comprendras plus tard."

Caractéristiques de la fraîcheur océanique, les émanations des algues en décomposition titillèrent les narines de la jeune femme qui, les yeux clos, se laissa conduire là où les flots de son imagination la transportaient. L'exaltation du départ. Le voyage. L'ivresse de l'inconnu. La liberté. La soif de découverte. L'éveil.

L'effondrement des Piliers Tome 1: Le Déclin d'un AstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant