Chapitre VI : Impartial - Deuxième Partie

318 27 14
                                    

Une fourmilière. Voilà la première image ayant surgit dans l'esprit de Hagron lorsqu'il avait découvert le quartier général où s'établissaient les capelines funèbres. Une comparaison qui demeurait, ce jourd'hui, tout autant pertinente. Passé un portail de pierre en arcade servant de point de contrôle, une vaste cour recouverte d'un sol aux pavés biscornus vous accueillait. Bomen entraina le Méridien vers un bâtiment simpliste d'architecture camouflés par d'autres tout aussi identique. N'importe quel curieux se serait perdu au milieu de ces entassement de briques, grisâtres, parfaitement semblables entre eux à l'instar du personnel. Émergeants des casernes, des réservistes pullulaient, parfois sans, souvent avec un casque noir empêchant toute distinction, mais tous vêtus d'une cuirasse noire cloutée d'or. Chacun prenait le temps de guigner l'arrivant avec intérêt lorsqu'il traversa la cour. Un jour, quand il n'était qu'un enfant sans but à l'orphelinat, Hagron avait découvert le cadavre frais d'une mustemine gisant à proximité de la fosse à purin. Le petit garçon s'était alors procuré un bâton et sans réelle intention, en tripota la carcasse dénuée de vie. Il s'avéra que l'animal respirait encore. Amorphe, il agonisait sans bruit, attendant que la mort vienne s'emparer de lui. À présent, les regards dardant, sondant, dépeçant Hagron lui firent réaliser ce que la mustemine avait pu ressentir ce jour-là lorsque le morceau de bois s'enfonçait dans ses côtes. Le Méridien s'en vit sincèrement désolé.

Bomen salua deux aspirants postés devant le bâtiment avant d'y pénétrer, leur résuma la situation puis leur somma de trouver le colonel. Hagron ignora tout contact visuel avec eux et le talonna. Toujours fidèle à la sobriété militaire, les quartiers du capitaine possédaient un ameublement exempt de superflus : un secrétaire et son écritoire, une armoire, une bibliothèque renfermant des ouvrages sur les plans de la ville, le tout construit dans un même bois à la facture surannée. Deux chaises étaient tournées vers le secrétaire. Bomen fit glisser l'une d'elle vers Hagron puis s'installa en face sur un fauteuil recouvert d'une assise en velours, seul tralala dans ce décor sans âme. Le conditionnement du Méridien le contraignit à patienter qu'on l'invite à s'asseoir. Chose faite, il se mit à califourchon sur le siège, autre mécanique acquise à cause de son gigantesque estramaçon dont il ne se séparait pratiquement jamais. "Trêve de faux fuyant !" tonna Bomen.

Le capitaine ôta son casque, dévoilant par là un visage aux joues creusées. Ses cheveux blonds, desquels la coupe s'assortissait à la forme de son heaume sans visière apparente, lui tombaient légèrement au-dessus d'oreilles serties de clous, plus courts que ceux de Hagron donc. Deux fentes verticales faisant office de pupilles s'enfoncèrent dans celles du jeune homme. "Qu'est-ce que c'est que ce chienlit messire Méridien ?"

Hagron ne pipa mot. Il n'en avait pas la moindre idée et, quand bien même ce fut le cas, ses capacités de réflexion s'enrayaient depuis plusieurs heures déjà. Orcéus mort. Aarius disparu. Telles étaient les seules notions capables de faire surface dans cette mer de pensées indémêlables. Opposé au silence, Bomen reprit : "Cette situation est on ne peut plus suspecte, j'ose espérer que vous vous en rendez compte"

Le ton incriminateur fit tiquer Le Méridien malgré son état semi végétatif. Il lança un regard lapidaire qui, bien qu'il n'en perçu pas totalement la menace à cause du masque d'ours, persuada aussitôt le Capitaine de modifier son timbre de voix : "Comprenez...un début de piste, c'est là simplement mon objectif. Vous m'expliquez que votre frère d'arme disparait à votre retour et voilà que, coïncidemment après, au vu et su de tous, on assiste à son évasion. Et votre absence d'alerte ? Par les Neufs mettez au clair la raison de votre absence d'alerte messire Méridien !"

Ainsi s'éternisa-t-il sous une dégringolade d'exclamation sans réplique. Chaque fois qu'il clamait "Assassinat du Médiateur", Hagron interprétait "Défaillance à votre mission", "Gardien incapable", mais surtout "Responsable", l'enlisant un peu plus dans sa consternation. L'entrevue prenait parfois des allures d'interrogatoire, et la pression crût. Cela n'alla pas en s'améliorant lorsque le colonel fit irruption dans sa cuirasse distinguée par des damasquinures d'émeraude, un ginseo à la moustache en fer à cheval et à la peau ocre gravée de runes qui vociféra, d'abord sur le capitaine pour ne pas avoir mis les fers au suspect désormais principal, puis à l'adresse de ce dernier. "Je n'ai jamais pu vous sentir, hurla-t-il en approchant sa gueule du masque du Méridien, et à raison ! C'est le falot qui vous attend, suivi de la potence." Hagron resta indolent sous la grêle de ses injures et, en quelques minutes, se retrouva accusé, désarmé, et à croupir au fond d'une cellule disciplinaire sans qu'il n'ait bronché un seul mot. Il n'avait guère d'influence sur les évènements. Pire encore, un jour fut nécessaire pour que le jeune homme prenne conscience de sa situation. Ceux qui suivirent s'apparentaient à une lente remontée hors de l'eau, ou encore à l'impression acerbe d'un lendemain de soulerie se prolongeant, pour les rares fois où Hagron en avait connu.

L'effondrement des Piliers Tome 1: Le Déclin d'un AstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant