Chapitre 38

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Mes pieds étaient douloureux. Mes semelles râpaient mes talons et mes orteils se fracassaient sans relâche contre le bout de la chaussure. Chaque pas me semblait plus difficile que le précédent. Je progressais dans la forêt à un rythme si lent que j'avais l'impression de n'avoir parcouru qu'une centaine de mètres depuis le départ d'Harry il y avait de cela plusieurs heures déjà.

Je ne savais plus du tout où aller. Sans l'aide d'Harry, j'étais perdue. C'était lui qui nous guidait au travers des arbres habituellement. Il connaissait les environs comme le fond de sa poche. Moi, je n'avais aucun repère.

Et puis, comble de mon malheur, un orage s'était déclenché. J'avais délibérément juré à la sensation de la première gouttelette contre mon visage; ce n'était pas le moment opportun pour une douche froide. À présent, je ne savais plus si l'eau ruisselant sur mes joues provenait de la pluie ou de mes larmes. Tout ce qui m'importait, c'était d'aller de l'avant, peu importe où j'aboutirais, pour sortir de cette étouffante forêt.

Un grondement retentit, suivit d'un bruit perçant de déchirement et d'une fissure flamboyante dans le ciel. Le haut des arbres dansait violemment dans les airs, leurs feuilles tourbillonnant dans tous les sens. Au contact de mes vêtements mouillés, le vent m'envoyait des frissons partout dans le dos, remontant mon échine jusqu'à ma nuque. Je devais trouver un abri au plus vite.

Quelques secondes plus tard, je tendis l'oreille et perçut un léger bruissement au loin, comme un pneu sur la chaussée.

Mes yeux s'écarquillèrent. Un pneu sur la chaussée.

Une route. Il y avait très certainement une route tout près d'ici. Bordant la forêt, il ne pouvait s'agir que de la Route 10. Une lueur d'espoir naquit au fond de moi-même et un rire de soulagement s'échappa d'entre mes lèvres.

Sans plus attendre, je pris mes jambes à mon coup, ignorant mes orteils endoloris, et me dirigeai vers la source du bruit, vers la Route 10.


Un long chemin asphalté où des milliers de gouttes de pluie sautillaient se dressa devant moi. J'eus envie de crier de bonheur, de sauter de joie, mais je me retins, mordillant ma lèvre inférieure. Je devais me faire discrète, on ne devait pas me remarquer.

Je connaissais bien cette route qui reliait les villages d'Eigle et de Helfond ensemble, suivis par quelques autres comptés ici et là. En balayant du regard les alentours, j'aperçus un filet de lumière rougeâtre à moins d'un kilomètre d'où j'étais. Je connaissais cet endroit. Il s'agissait d'un petit casse-croûte qui servait d'halte routière pour les voyageurs et de station d'essence en même temps. Je m'y étais arrêté quelques fois avec papa. En creusant dans mes souvenirs, je crus me rappeler d'un élément crucial qui, à l'époque, n'avait rien de bien spécial à mes yeux.

–      Une cabine téléphonique, murmurai-je.

J'emboitai le pas vers la lumière au loin, la satisfaction s'emparant de moi. J'avais quelques pièces dans mon sac, qui trainaient dans la pochette du côté depuis des lustres. J'en avais assez pour faire quelques appels.

Je pris soin de longer les arbustes pour me fondre dans le décor et passer ainsi inaperçue. Harry avait dévoué plusieurs semaines à ma protection. Il s'était mis en danger à maintes reprises, avait mis de côté sa propre fuite pour assurer la mienne et s'était finalement sacrifié pour moi. Ce n'était pas le moment de tout gâcher. Je devais lui prouver que ses efforts n'étaient pas en vain. Et je devais le retrouver, pour lui rendre la pareille, mais surtout, parce que je tiens à lui.

Mon chandail me collait à la peau, tout comme mes jeans maintenant dix fois plus lourdes qu'à l'habitude. De la boue s'était incrustée dans mes souliers, produisant un bruit de succion à chacun de mes pas. J'avais le souffle cours, mais je ne m'arrêtai tout de même pas. Le casse-croûte était à moins de deux-cents mètres.

Whispers of EvilWhere stories live. Discover now