Chapitre 54

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Claire biaisa, bien malgré elle mais elle était mise en déséquilibre, alors ; elle ne pouvait que biaiser.

– Tout dépend comment on prend cette question...

– Bien sûr.

Après une seconde, Isabelle ajouta toutefois :

– Si tu n'avais pas de doutes, tu saurais y répondre.

Claire se crispa.

– Probablement.

Bien évidemment, qu'elle avait des doutes. Elle n'avait même que ça. Sur la défensive, elle fit quelques pas, jusqu'à se trouver devant l'encadrement de la porte. Au loin, elle observa Mathieu parler avec Olivier et son oncle, si loin. C'était douloureux de ne pas « savoir », en effet.

– Je sais ce qu'il se passe, là tout de suite, dit-elle, pensive. Au moins ça.

Ces sentiments qu'elle éprouvait. Cette peur. Et cette question quant à ce que Mathieu attendait, lui, de leur relation : s'il voulait quelque chose au-delà de ces rapports de soumission, et ce qu'il pourrait se passer, entre eux, ce qu'il y aurait. Comment ce « eux » pourrait se prolonger s'ils continuaient. Et combien de temps.

Isabelle adressa un regard interrogatif à ses amies.

Béné fit une petite moue. Elle lâcha :

– C'est compliqué...

– J'ai cru remarquer, commenta Isabelle.

Elle était tellement froide, dans son attitude. Tellement cinglante.

Claire centra son attention sur Mathieu, au dehors.

La question d'Isabelle ne manquait pas de pertinence. C'était là, le nœud du problème, mais que devrait-elle faire ? Devrait-elle parler à Mathieu ? Lui présenter Béné et Camille n'était pas anodin, et elle était touchée que ses amies se montrent autant ouvertes vis-à-vis de Mathieu, que tolérante envers les abords froids d'Isabelle, mais ce n'était ni aborder l'avenir, ni lui confier ses sentiments.

Est-ce qu'elle lui dirait ce qu'elle ressentait ? Est-ce que ça ferait avancer seulement les choses ? Et est-ce qu'elle le voulait, d'abord ? Ou est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux enterrer ça ? Elle en était capable... L'enfouir profondément en elle et tâcher de faire comme si ça n'avait jamais existé.

Ni Isabelle ni Béné ne poursuivirent et elle resta à regarder Mathieu, à travers l'ouverture de la porte.

Quand Mathieu et Olivier commencèrent à revenir vers elles, Isabelle lança :

– Vous êtes venues avec la même voiture ?

– Oui, répondit Béné. Claire nous a conduites.

– Je dois aller faire des courses sur Orange, enchaîna-t-elle alors. Je peux en ramener une ou deux, si ça vous arrange.

Claire interrogea ses amies du regard, mais Béné était déjà en train de répondre :

– C'est possible, oui.

Pour elle enchaîna en tournant la tête vers Claire.

– Tu vas rester avec Mathieu ?

Claire prit une seconde avant de répondre :

– Oui.

– Bien, dit alors Isabelle.

Et elle posa encore les yeux sur Camille.

Claire les observa toutes deux.

Quand elle avait parlé de domination avec Camille, son amie avait montré une compréhension surprenante des mécanismes de cette sexualité. A ce qu'elle avait dit, elle avait connu une fille qui était dedans à l'école d'infirmière, mais elle n'était pas allée plus loin. Camille était tellement imperméable, de toute façon... Claire se demanda si Isabelle et elle reconnaissaient un lien entre eux. Si ça pouvait se voir comme, parfois, les gens se reconnaissaient, entre eux.

Claire recula pour laisser le passage à Mathieu et Olivier. Elle sentit juste l'électricité se faire entre Mathieu et elle, alors qu'ils entraient, et le besoin qui lui dévorait le ventre se manifester plus douloureusement, mais elle n'alla pas pour autant vers lui. Il fit de même. Trop de monde ; un manque d'intimité ; trop d'inconnues, aussi, entre eux, trop de non-dits...

Olivier se mit à raconter avec humour leur échange avec son oncle et Claire écouta, même si elle eut du mal à participer à la conversation. Olivier était un ange de sympathie et d'humour – qui pourrait imaginer la discipline qu'il imposait à sa soumise ? –, Mathieu plein de cette impertinence légère qui dégageait autant d'attrait, et Isabelle paraissait presque « sociable », pour une fois ou du moins... pas trop tranchante. Même Béné relâcha la pression, en conséquence, se montrant plus curieuse que méfiante, Claire put le voir. Puis la discussion partit sur un tout et rien classique : des études ou métiers de chacun, des lieux où ils étaient déjà allés, et tous ces éléments que l'on aborde avec des gens qu'on ne connaît pas encore mais avec lesquels on se cherche des points communs. Lorsque Béné le lança sur sa famille, Mathieu esquiva discrètement. Aucun mot ne fut posé sur le club ou même la domination.

Isabelle finit par se décoller de la vitre de la cuisine pour jeter un œil rapide à son portable. Elle déposa sa bière vide dans l'évier.

– Je vous ramène ? dit-elle à Béné et Camille.

– OK.

– Tu me prends avec toi ? embraya Olivier.

Isabelle leva les yeux au ciel.

– Non, je t'abandonne dans un bosquet.

Il rit.

Sur les lèvres de Mathieu s'afficha un sourire tendre, témoignant de son amitié pour eux.

– Tu raccompagneras Mathieu ? reprit Olivier à l'intention de Claire.

– Oui.

C'était évident, comme toujours concernant Mathieu, malgré la crispation régulière dans son ventre. Elle ignorait encore si celle-ci était significative de crainte ou de besoin... Des deux, surement.

– Alors on y va, lança Isabelle.

Et elle sortit en claquant des doigts à l'intention d'Olivier.

Celui-ci eut un petit sourire en coin. Après quelques secondes, il chuchota à Béné et Camille :

– Elle n'est pas sociable, mais elle n'est pas si méchante, ne vous inquiétez pas.

Celles-ci réagirent par un sourire.

Béné la serra cependant vivement dans ses bras avant de partir.

– Ça va aller ? lui chuchota-t-elle.

– Oui.

Béné lui caressa les cheveux.

– Tu appelleras ?

– Oui.

Elle les regarda sortir et s'éloigner.

Enfin, elle tourna le visage vers Mathieu.

L'initiation de Claire - Version Wattpad (roman édité chez Harlequin)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant