Chapitre 51

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Quand elle approcha la flamme de sa cigarette, ses mains tremblèrent légèrement. La fumée s'envola et elle inhala de longues bouffées qui devaient la faire ressembler à une droguée en manque et... oui, c'était bien un peu ça. Elle devrait s'arrêter. Ça aussi, elle y pensait. Elle « devrait » tellement de choses, en fait... Mais elle n'en faisait aucune.

Au loin, on entendait le ronflement d'un moteur atténué par le vent.

– J'ai fait ça plusieurs années en job d'été, lâcha Camille.

– Quand tu étais à l'école d'infirmière ? lui demanda Claire en exhalant.

– Non, au lycée. On « castrait » le maïs.

Béné eut un petit rire à ces mots.

– Sans blague, précisa Camille.

– C'est là-bas que tu avais connu Anouk, non ? remarqua Béné.

– Oui.

Claire se souvenait de ce nom. Ça datait de tellement d'années, maintenant... A l'époque, Camille avait été cette cousine lointaine de Béné qui affichait un look gothique typique d'adolescente rebelle et que Claire avait vu embrasser une fille lors d'une soirée. Ça avait été la seule fois où elle avait aperçu cette Anouk, dont elle n'avait appris le nom qu'ensuite. Jamais elle n'avait su si ça avait été sérieux, ou si ce baiser n'avait été que l'un de ces actes anodins que l'on fait parfois pour s'amuser ou parce qu'on a trop bu. Elle ne l'avait jamais demandé, non plus. Camille n'était pas une personne sur qui on posait des questions ; juste une que l'on laissait vivre en remarquant, parfois, les originalités.

– On y va ? la relança Béné.

– Oui.

Claire écrasa sa cigarette en expirant un gros nuage de fumée.

– Tu as si peur qu'il ne nous plaise pas ?

– Oui, souffla-t-elle, nerveuse.

Elle ajouta dans un semi-sourire :

– Le dernier mec que je t'ai présenté ne t'a pas plu.

Béné leva les yeux au ciel.

– Ah ben si tu remontes à Thomas, forcément...

Claire reprit, plus sincère concernant Mathieu :

– Tu as du mal avec...

Elle pesa le mot qu'elle allait prononcer.

– ... nos pratiques sexuelles.

Et elle sut, en levant les yeux sur Béné, que celle-ci avait remarqué le mot « nos » qu'elle avait employé.

– J'ai du mal avec le fait que tu sois malheureuse, contra son amie d'un ton sec. Le reste, je m'en fous. Allez !

Et elle lui serra l'épaule pour la sermonner d'avoir de telles pensées. Claire se mordilla la lèvre, gênée. Elles avancèrent vers la ferme.

Le bâtiment semblait vide. Par contre, plusieurs personnes travaillaient dans le champ attenant. Claire chercha Mathieu du regard. Elle sentait l'impatience dans son ventre, si curieuse, en elle, après tous les renoncements qu'elle avait faits, si inattendue.

Elle s'engagea dans une allée. La propriété était immense ! Une haie d'ifs bordait le champ, à l'ouest, et une série d'arbres fruitiers s'étendait à l'autre bout. Claire observa le travail des jeunes hommes et femmes penchés sur des champs de melons. Une odeur un peu rance s'en dégageait, témoin de la maturité trop avancée qu'avaient dû atteindre certains fruits ; les autres étaient superbes. Elle venait de remarquer un homme plus âgé, vêtu d'une chemise à carreaux aux manches retroussées et qui avait tout pour être l'oncle d'Olivier, quand elle repéra, au loin et sortant d'un hangar avec une lourde charge aux bras, celui vers lequel tout la poussait.

Elle ne bougea pas.

Si elle avait encore été adolescente, elle aurait déjà couru vers lui. Elle le savait. Mais elle ne l'était plus. Depuis, elle avait eu Thomas, six ans de relation stérile, et de l'amertume à en déborder. Il lui en restait de la peur.... Ou alors, comme l'avait suggéré Béné, c'était parce que c'était Mathieu et qu'avec un autre, elle aurait peut-être eu moins de doutes, mais elle n'imaginait pas pouvoir ressentir ça pour un autre. D'autres, comme Mathieu, il n'en existait pas, de toute façon. Ça arrivait seulement tard. Ils auraient dû se rencontrer au lycée, avant. Avant tout ça.

Elle regarda Mathieu poser à terre l'imposant sac qu'il portait puis se redresser pour étirer son dos visiblement fourbu. Quand il pencha la tête de côté pour dénouer les muscles de sa nuque, les rayons de soleil entrèrent dans sa chevelure, en majorant l'éclat. Puis il releva le bas de son t-shirt et s'en servit pour éponger la sueur de son front, exposant les reliefs de ses abdominaux.

– O-kay..., gémit Béné.

Claire ne put qu'en rire.

– C'est lui ? demanda son amie en tant que confirmation.

– Oui.

– Quelqu'un devait lui dire de ne pas faire des trucs comme ça, ajouta Béné. Il va provoquer des accidents, ce n'est pas possible.

Claire rit plus vivement. Elle ne pouvait pas la contredire : elle avait eu exactement la même pensée. Quand il releva le visage vers elles et s'immobilisa en les apercevant, une boule immense gonfla dans sa poitrine, et elle éprouva avec tellement de force ce « lui » qui emplissait toutes ces cellules, et tout ce qui faisait que c'était lui, et elle, et que les mots devenaient superflus pour qualifier ce qui les liait, qu'elle se retrouva incapable de bouger.

L'initiation de Claire - Version Wattpad (roman édité chez Harlequin)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant