Chapitre 12

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Note de l'autrice : cette partie comporte une ambiance musicale. Si vous voulez découvrir les lieux en écoutant le même morceau que Claire, cliquez sur la vidéo ci-dessus.

***

Le portier parcourut lentement sa tenue avec un sourcil haussé, avant de reporter son attention sur son visage. Un léger sourire prit place sur ses lèvres. Comme la première fois, Claire se retrouva absorbée par le bleu si clair de ses yeux.

Il ne lui demanda pas de se présenter. D'un geste lent, il ouvrit juste la porte un peu plus grand et dit :

– Véronique t'attend au bar.

Elle hocha la tête. Soit le portier se souvenait de son visage, mais cela semblait peu probable étant donné tous ceux qu'il devait voir passer, soit Mathieu l'avait prévenu qu'elle serait le cas particulier qui se présenterait en désaccord total avec le Dress Code demandé. Elle le dépassa pour entrer. Lorsqu'elle se retrouva dans le vide de l'entrée, elle regretta d'avoir voulu braver les règles du lieu en arrivant en jean. Elle se sentait vraiment ridicule, ainsi décalée par rapport à cette soirée.

Elle prit une longue inspiration et avança. Depuis la salle, une musique douce et rythmée s'élevait, avec des notes comme de petites gouttes de pluie éparses et un chant envoûtant aux airs de murmures venus d'outres tombes, ou de contrées inconnues, magiques... L'attirant. Le couloir, vide, défila devant elle, ses parois de pierre brute râpant la main qu'elle y fit glisser dans une recherche de contact avec la sensualité des lieux, un rappel de sa mémoire, un éveil de ses sens...

Elle parvint à l'ouverture sur la cour. Là, exposé au ciel d'un gris violine, l'endroit lui parut lui-même attendre que le public l'investisse, propre et bien rangé, les chaises à leur place, les podiums érigés au centre de la piscine, et les cages dénuées des corps à demi-nus qui y avaient ondulé la dernière fois. Comme une pause entre deux nuits de débauche. Comme une respiration. Partout, le noir et le blanc se déclinaient, en de longues tentures crème, en des voilages corbeau suspendus en hauteur, soufflés par le vent, conférant aux lieux une ambiance bien plus sombre que lorsqu'elle y était entrée la première fois : ce caractère fétichiste qui l'intriguait au moins aussi fortement qu'il la rebutait, chacun de ces sentiments ne faisant que renforcer l'autre.

Les marques qu'elle savait présentes sur ses cuisses lui rappelaient qu'elle n'était plus extérieure aux lieux, désormais. Qu'elle en partageait les excès.

Plus loin, assise sur un tabouret haut du bar, une femme la regardait. Ses jambes longues s'étendaient, dénudées de ses hanches au cuir noir de ses escarpins, et elle portait un justaucorps de la même matière, parfaitement adapté aux courbes prononcées de sa silhouette et serti de plusieurs incursions de métal. Un blouson de motarde couvrait ses épaules sur lesquelles sa chevelure violette retombait en ondulations légères. Claire jeta un regard rapide dans les autres coins de la cour, cherchant Mathieu. Elle ne l'aperçut pas. Elle approcha de la femme, peu à l'aise mais refusant de le montrer. Celle-ci sirotait tranquillement un cocktail, pressant ses lèvres peintes sur l'extrémité de sa paille.

Lorsqu'elles furent à côté l'une de l'autre, Claire tâcha de raccorder les souvenirs qu'elle avait de cette femme avec son apparence présente. Elle l'avait trouvée si impressionnante, la première fois, dans sa longue tenue de cuir rouge alors qu'elle se dressait dans le couloir du donjon pour la commander de la suivre. Il n'y avait pas que la tenue qui changeait ; la chevelure, aussi. Véronique lui jeta un œil par en dessous.

– Tu te souviens de moi ?

– Oui, répondit Claire.

Mais pas exactement telle qu'elle se présentait. Elle lui était encore étrangère.

Véronique lui tendit une main paresseuse, qu'elle serra.

– Tu te faisais appeler « Clara », rappela la jeune femme.

– Dans le donjon, oui.

Claire pouvait retrouver certains de ses traits. Le pli hautain de sa bouche, la manière dont ses yeux en amande semblaient la toiser...

– C'est la différence de couleur de cheveux qui te dérange, constata Véronique en secouant ces derniers, mais ne t'inquiète pas : j'en change sans arrêt.

Elle but une nouvelle gorgée de son verre puis le reposa sur le comptoir.

– C'est une manie, ajouta-t-elle en se levant. Tu verras qu'on s'amuse tous beaucoup avec notre apparence.

Claire songea qu'elle en avait eu un aperçu avec les premiers visiteurs. Ce code-là, néanmoins, lui était étranger. Elle n'interrogea pas Véronique à ce sujet ; à Mathieu, elle aurait posé la question. Elle remarqua simplement :

– C'est un jeu, alors.

– Bien sûr. Mais c'est réducteur de ne le voir qu'ainsi ; c'est surtout du pouvoir.

La curiosité de Claire était piquée. Tandis que Véronique sirotait son cocktail, elle se demanda ce qu'elle avait voulu dire. Elle ne trouva pas.

– C'est-à-dire ? l'interrogea-t-elle alors.

Véronique la fixa avec attention. Elle semblait l'analyser ou peut-être chercher à retrouver chez elle des éléments dont lui aurait parlé Mathieu. Elle finit par répondre :

– Séduis un homme en tant que dominatrice et il te mangera dans la main. Tourne ses sens en tant que soumise, et ce sera dans tes doigts que se tiendront les rênes... Quelle que soit la place que tu occupes, le BDSM consiste toujours en un rapport de forces. Celui qui manipule l'autre n'est pas forcément celui que l'on croit.

La manière dont Véronique la fixa en se levant de sa chaise fit songer à Claire qu'elle devait certainement ne pas être le genre de femme qu'on dirige facilement. Il y avait de l'acier dans son regard, du fer dans son port de tête. Si elle participait ce soir-là en tant que dominatrice, Mathieu lui avait appris que Véronique avait aussi un maître et évoluait en tant que soumise, ces derniers temps. Il lui avait confié ce détail pour leur donner ce point en commun et la mettre à l'aise, Claire l'avait compris, mais elle ne risquait pas de l'être. Ce principe de switch, qui faisait valser les membres d'un extrême à un autre, avait plus tendance à l'embrouiller qu'autre chose. Elle peinait déjà à assimiler les codes de ce milieu. Elle ne pourrait pas se sentir au même niveau que cette femme, surtout quand la consigne était de se remettre entièrement à elle.

Véronique fit quelques pas en arrière, détaillant son corps.

– Il faudra que tu apprennes à en jouer, commenta-t-elle finalement.

Claire accueillit la remarque de Véronique avec compréhension. Elle n'avait pas fait d'effort vestimentaire pour la soirée, mais elle en faisait relativement rarement. Elle savait qu'elle plaisait, ainsi. Elle pouvait s'habiller n'importe comment, elle avait toujours son lot d'intéressés, de toute façon. Mais Véronique avait raison : elle n'avait jamais cherché à avoir le pouvoir, à ce sujet, subissant l'attrait qu'elle exerçait sur les autres comme quelque chose de totalement indépendant d'elle-même, voire d'embarrassant. Surement pas comme un atout dont elle pouvait se servir. Ce sujet du pouvoir l'interrogeait. Elle s'était sentie libérée en l'offrant pleinement à Mathieu, mais pourrait-elle en user également ?

– Allez, suis-moi, dit Véronique en s'écartant de l'espace bar.

L'initiation de Claire - Version Wattpad (roman édité chez Harlequin)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant