Chapitre 7

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Mathieu n'avait pas revu la maîtresse depuis la dernière Nuit Noire. Il n'avait donc pas vécu de nouvelle séance de soumission, mais Isabelle n'aurait pas dû être au courant. Ce qu'il se passait entre la maîtresse et lui était toujours resté intime, marqué, même, du sceau du secret. La maitresse n'en parlait pas et lui n'offrait guère que les marques sur son corps à la curiosité que ses amis pouvaient manifester à ce sujet.

Ce qu'il y avait entre eux avait toujours été un sujet délicat dans leur petit groupe, parce que Mathieu avait débuté en tant que soumis à elle, parce qu'il avait persisté à le faire même en s'émancipant en tant que dominant, parce qu'il ne se soumettait à personne d'autre ... parce qu'Olivier disait que leur rapport était miné depuis le début, ne serait-ce qu'à cause de la manière dont il avait commencé, parce que tous avaient tendance à le ressentir comme malsain... Mathieu aurait eu du mal à les contredire mais qu'est-ce qui était « sain » dans sa sexualité, après tout ? Et puis, pourquoi se serait-il pris la tête à ce sujet ? Il n'aimait pas se poser des questions sur ce qu'il faisait. Enfin, Isabelle n'admettait pas qu'il puisse être si exclusif : que, puisqu'il voulait se soumettre, il ne le fasse pas avec elle.

– Tu te rappelles que tu as une punition en attente, le relança Isa.

Donc la maîtresse lui en avait parlé.

– Bien sûr...

Celle au-devant de laquelle il avait su qu'il s'exposait en préférant Claire au club. Une nouvelle... Une forte, il n'en doutait pas.

Il aurait déjà dû aller voir la maîtresse pour la recevoir. Ce choix aurait été le plus judicieux, mais il n'avait ni eu le temps, ni – et là était le plus important – l'envie. Et ça aussi c'était inédit. Ça l'inquiétait, même. Il avait été dans autre chose, un « autre chose » qui n'impliquait pas la maîtresse, qui n'impliquait même pas les amis avec lesquels il se trouvait aujourd'hui, qui n'impliquait que lui, Claire, et le bouleversement qui s'était installé dans son existence.

Il ferma les paupières, laissant le soleil chauffer sa peau. Les conversations de Véronique, Olivier et Isabelle, lui parvenaient en sourdine.

Aussi loin qu'il se souvienne, le sentiment d'être « hors norme » l'avait poursuivi. Autre. Décalé des autres, pas dans leurs trips, pas dans leurs besoins, pas dans leur manière d'appréhender la vie, même à l'époque où il avait essayé de se convaincre du contraire en ayant une relation vanille qui n'avait abouti qu'à un échec. Il n'y avait bien eu qu'avec Isa, Véronique, Cain et Oliv', qu'il avait réellement trouvé des personnes lui ressemblant, mais ils restaient toutefois différents. Même Olivier : il était son alter-ego, son presque-frère et le soutien de sa stabilité, mais il représentait aussi justement la partie solide de lui-même. L'autre était mouvante, en proie à des désirs trop sombres pour être exprimés, torturée en permanence. Il avait cru pouvoir trouver un équilibre. Il avait cru que la solitude sentimentale serait la solution : vivre d'amusements et de contacts dénués de toutes attentes qui ne soient pas éphémères. Trouver l'accomplissement dans le sexe. Rester avec Oliv', toujours. Jouir. Jouer avec les autres. Et il y était même presque arrivé : il s'était offert corps et âme aux jeux dangereux de la domination et de la soumission et il s'était amusé de la moindre de ses perversions, répandu dans l'extase et les plaisirs inavouables... Et puis, Claire était arrivée.

Claire, qui lui ressemblait tellement.

Claire le faisait sortir du « jeu ». Plus le temps passait, plus il s'en rendait compte. Claire était un miroir lui offrant tant le reflet troublant de la normalité à laquelle il ne voulait pas se conformer, que celui de ses extrémismes. Claire le projetait dans la conscience brute de la limite sur laquelle il se trouvait lui-même, en permanence, et de l'attrait que l'équilibre entre les deux gouffres exerçait sur lui.

Il n'était pas pour elle... L'idée revenait de plus en plus souvent dans son esprit.

Il aurait voulu qu'elle soit pour lui.

Il ne l'avait pas rappelée après leur dernière séance. Celle-ci s'était terminée dans le trouble le plus profond. Il avait aidée Claire à dénouer les liens qui s'étaient enroulés autour de ses poignets, rhabillée lentement, puis il avait appelé Oliv' avant de l'envoyer la raccompagner chez elle. Il lui avait juste envoyé un SMS pour lui demander si elle venait toujours à la Nuit, ce qu'elle avait confirmé.

Tout à ses pensées, il sentit plus qu'il ne vit Isabelle se rapprocher de lui.

– Ton planning d'activités pour samedi soir est resté de nouveau vide, l'informa-t-elle à voix basse.

Mathieu déduisit qu'Isabelle était passée au club dans la journée.

A côté d'eux, Olivier et Véronique discutaient ensemble.

– Je suppose que c'est pour que je puisse m'occuper de Claire, commenta-t-il.

– Catherine te soigne, hein ? ajouta Véronique.

– Oui...

– Tu as toujours été son chouchou, remarqua Isabelle.

Mathieu ne la contredit pas.

Quand elle posa la main à plat sur son torse, il en fut dérangé. Isabelle jouait aisément à des provocations sensuelles avec lui, mais il avait plutôt tendance à en être amusé ; là, son geste le gênait. Il la laissa tout de même s'appuyer sur son buste, puis se hisser au-dessus de lui... jusqu'à s'asseoir sur son bassin. Il ne fit rien pour l'éloigner.

– Un de ces jours, il faudrait que je te baise pour te calmer, lui dit-il, autant pensif qu'agressif.

– Ou que, moi, je te baise, lui opposa Isa.

– Tu sais très bien que je ne le veux pas.

– Ou que je baise ta Claire, rétorqua-t-elle alors. Je suis sure que tu aimerais, en plus.

Cette ultime attaque acheva de l'agacer.

– Dégage, grogna-t-il.

Isabelle eut un sourire torve. Au bout de quelques secondes, elle se leva.

– Je trouve Mathieu insupportable, ces derniers temps, se plaignit-elle aux autres, façon grande princesse.

– Qu'est-ce qu'il se passe ? intervint Olivier.

– Il ne se laisse même plus tripoter.

Oliv' rit.

– Rien ne va plus !

– Si on ne peut plus se fier à rien, ironisa Isabelle.

Elle ajouta :

– Il n'en a que pour cette Claire.

– Tiens, émit Véronique en se penchant vers eux pour se rapprocher, Catherine vit comment la place de cette fille dans l'existence de son jouet préféré ?

Isabelle haussa les yeux au ciel, témoignant du fait qu'elle en était la plus agacée de toutes.

– Elle t'en a parlé ? le relança Véronique.

– Non, répondit-il.

– Je suppose qu'elle le vit bien, remarqua Isabelle, puisqu'elle lui libère ses soirées comme ça...

– Il n'y a que toi qui le vit mal, non ? lança brusquement Mathieu à son adresse.

Il vit Isabelle tiquer. Elle ne répondit pas.

– Tu te donnes trop d'importance, lâcha-t-elle enfin dans un souffle amer.

Puis elle ramassa ses sacs.

– On n'a pas fini nos courses, dit-elle à Véronique qui roula des yeux en réponse.

– Les préparatifs de cette soirée me tueront !

Elle se leva toutefois, remettant rapidement en place sa longue chevelure violette avant de rejoindre leur amie dans leur expédition des magasins fétichistes.

Mathieu les suivit du regard.

– Tu en penses quoi ? demanda-t-il à Olivier.

– Surveille bien Claire.

– Oui.

Il songeait à la même chose.

L'initiation de Claire - Version Wattpad (roman édité chez Harlequin)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant