Chapitre 2 - CORA

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- 10h30, annonça une voix monotone.

Je me levais, les jambes tremblantes et entrepris de m'habiller. Il fallait que j'aille faire la pizza, sinon nous n'aurions rien à manger. Je laissais mes lunettes sur la table de nuit et attrapais ma canne qui était posée à mes pieds. Je connaissais l'appartement comme ma poche, mais les marches de la cuisine me posaient toujours problème.
Dans la cuisine, je tendis la main pour trouver la pâte. Comme il me l'avait dit, elle avait été étalée, et j'espérais que le fait qu'elle soit restée plus d'une heure hors du frigo ne soit pas problématique. Les ingrédients étaient toujours les mêmes, et Jaques les rangeait toujours dans le même ordre. Olive, tomate, fromage râpé, dés de jambons, champions. Je pouvais donc cuisiner sans risquer de me tromper.
C'était à ce moment là que la vue me manquait. Jaques faisait tout pour me faciliter la vie, il faisait passer mon bonheur avant le sien et bien qu'Ivy m'ait déjà expliqué que c'était dans sa nature, ça me gênait. Puis, les couleurs me manquaient. Je ne savais pas si je mangeais des olives noires ou vertes, des pommes rouges ou jaunes ou même du sucre blanc ou roux.
Le four avait été programmé, il ne me restait plus qu'à appuyer sur démarrer. Encore une fois, il m'avait mâché le travail. Bien que je n'ai aucune raison de m'énerver, une profonde colère naquit en moi. Je n'étais pas en colère contre lui, j'étais en colère contre moi-même. J'étais déçue de moi, de ma faiblesse. J'étais venue ici pour apprendre à devenir indépendante et je me rendais compte que je ne le serai jamais totalement.
Lorsque Jaques rentra, j'étais assise sur le canapé, les écouteurs dans les oreilles. Une voix envoûtante me racontait Wuthering Heights, un chef d'œuvre d'une des sœurs Brontë. J'éteignis mon livre audio lorsque le canapé s'enfonça. Des lèvres humides se posèrent sur mon cuir chevelu et une main attrapa la mienne pour me guider jusqu'à la cuisine. J'avais sortie la pizza du four pour qu'elle refroidisse, et sa délicieuse odeur remonta le long de mes narines. L'odorat et l'ouïe était mes deux sens les plus développés. Après avoir perdue la vue, j'avais du m'adapter à un environnement que je ne connaissais pas, un monde entièrement noir. Suite à l'accident, j'étais tombée en dépression. Je n'osais pas parler, je pleurais constamment, me cognais partout et surtout, je cauchemardais. Le jour de l'accident avait tourné dans ma tête comme un film infini, puis du jour au lendemain, il avait disparu de ma mémoire. Comme si mon corps avait dit stop. À partir de là, j'avais décidé de devenir autonome, de ne plus rendre la vie dure à mes parents. Mais à chaque fois que j'étais seule, je broyais du noir.

- Crevette?

Je levais la tête, alors qu'il laissait tomber ses couverts dans son assiette dans un bruit strident. Sa chaise grinça et avant que je ne puisse esquisser le moindre geste, je sentis sa présence à mes côtés.

- Eh, Crevette, chuchota-t-il.

Je reniflais, et lorsque sa main glissa sur ma joue, je compris que je pleurais. Ça ne m'était pas arrivé depuis un an. Me rendant compte de ma faiblesse, mes larmes redoublèrent.

- Je savais que c'était une mauvaise idée, grommela-t-il.

Je fondais dans ses bras, sa chaleur me réconfortait et son odeur m'enchantait. Jaques avait tout pour lui. Le bonheur, la gentillesse, la délicatesse...la vue. Chaque soir, avant que je ne m'endorme, je m'imaginais son apparence. Parfois blond, parfois brun, parfois grand, parfois petit, il avait prit toutes sortes d'aspects. Mais aucune ne me satisfaisait jamais. Je voulais le voir de mes propres yeux. Un rêve inimaginable. Jamais je ne m'étais rendue compte de l'importance de mes yeux. C'était un repère essentiel qu'on m'avait enlevé contre mon gré. En deux ans, je n'avais jamais autant souhaité retrouver la vue. Néanmoins, j'avais peur. Le médecin me l'avait bien précisé, l'opération était risquée, coûtait cher et je n'avais que 70% de chance de retrouver la vue. Un pourcentage suffisant pour Jaques, instable pour moi. Mon espoir était fin, vague, défaillant, il en tenait qu'à un fil. Je ne savais plus quoi faire, mais là encore, Jax savait me convaincre. Sa gentillesse et sa candeur avait eu raison de moi.

Résurrection Where stories live. Discover now