Karbonadas

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Tu as réussi à t'endormir après la tempête qui te tournait autour  depuis trop longtemps déjà, et ça me rassure quelque part de savoir que  je peux garder un œil sur toi pour être certain que tu auras une nuit  quasiment complète, quitte à ne pas fermer les yeux. De toute façon, je  préfère rester debout et ne pas faire face à mes cauchemars qui sont  revenus. Je ne peux pas t'aider si je ne me contrôle pas, si je me  laisse submerger à mon tour. Alors je prendrai sur moi le temps qu'il  faudra, j'attendrai que le Hannibal que je connais revienne près de moi. 
Assis sur l'une des chaises de la chambre du motel, je t'observe  dormir en silence. Bien que la pièce soit trop sombre pour distinguer à  la perfection les traits de ton visage, j'arrive à redessiner  mentalement les formes de ce dernier. Je les connais par cœur à présent,  pour toutes les fois où je me suis surpris à te regarder. Te voir comme  ça, ça m'apaise tu sais. J'ai l'impression que c'est la première fois  que tu te donnes ces quelques heures de repos depuis cette fameuse nuit,  et ça a le don de calmer mes démons. Je pourrai presque pleurer,  tellement j'en suis soulagé. T'avoir vu dans ce sale état m'a  complètement retourné l'estomac et je me demande ce que ces gens ont pu  faire de Mischa. D'ailleurs qui sont-ils pour avoir eu un tel pouvoir  sur toi ? Je ne crois pas qu'un jour je serai capable d'oublier cette  vision que j'ai eu de toi, à ce point vulnérable que ça m'en a arraché  le cœur, ce même cœur que j'ignorais avoir.
Comme par réflexe, je  lève ma main jusqu'à mon torse afin d'attraper le tissu de mon haut, que  je serre entre mes doigts pour sentir au même moment les battements de  mon cœur, qui me prouvent une énième fois qu'il est bien là, qu'il n'est  pas encore mort par tant de souffrances, d'horreurs. Qu'il bat encore  et pour toi.

- Will ?

Je laisse retomber ma main sur la table, presque immédiatement à  l'entente de mon prénom, comme si je venais de faire quelque chose qui  m'est interdit. Et bizarrement, bien qu'il sonnait comme une question,  je ne réponds rien, même pas un simple « oui ? ». Je ne sais pas  pourquoi je reste silencieux. Peut-être que j'ai l'espoir que tu  t'endormes sans insister, que tu ne te réveilles plus jusqu'au matin par  peur que tu ne puisses plus te reposer, par peur que ta douleur  revienne te hanter.

- Pourquoi ne dors-tu pas ? Tes cauchemars sont toujours là ?
- Oui.

« Eh merde », me dis-je. Tu pouvais enfin te reposer et voilà que je  n'ai pas pu m'empêcher de te répondre, ce qui te tiendra éveillé.  Puisque même si tu prétends que Hannibal est mort, tu restes identique à  ce dernier et nous savons tous les deux que tu veux m'aider. Tu veux  toujours m'aider.

- Les heures préfèrent le silence pour fuir. Répliques-tu, tandis que  tu choisis de t'asseoir sur le lit à présent, ton dos contre l'oreiller  que tu viens de remonter.
- Je ne fuis pas.
- Que fais-tu dans ce cas ? Qu'est-ce que tu ressens ? As-tu peur ?

Le temps d'un instant, je nous revois dans ton cabinet. Je nous  revois assis sur ces fauteuils, l'un en face de l'autre ou alors, je me  revois marcher à travers la pièce en sentant ton regard se poser sur  moi. Et je me sens bien. Mais ce n'est pas la réalité, non, on est en  Lituanie, dans une chambre de motel et tu n'es pas dans ton état normal,  même si tu sembles avoir retrouvé tes esprits, sûrement parce que  l'alcool dans ton sang commence à se dissiper. Comme la barrière que je  me suis construit en arrivant ici.

- Oui, j'ai peur. J'ai peur de me laisser submerger et de ne plus  être maître de moi-même, j'ai peur de t'abandonner, de ne plus pouvoir  t'aider. J'ai peur que tu me laisses, j'ai peur de ne plus être à tes  côtés. J'ai peur de m'endormir et de laisser gagner mes démons. Je ne  peux pas me le permettre, parce que je veux rester auprès de toi, je  veux te remonter à la surface et ne pas te faire couler avec moi.

Un ange passe après ces mots et je regrette rapidement de les avoir  prononcé. Tu restes impassible, je me demande bien à quoi tu penses. Je  me demande si tu me trouves ridicule, bien que tu ne l'as jamais pensé.  Ce n'est pas ton genre.
Et c'est sans m'y attendre que tu te décales sur le côté du lit avant de retrousser le drap.

- Viens.

Étrangement, je ne tarde pas à me lever de ma chaise pour retirer mes  chaussures et pour te rejoindre. Une fois que je suis assis, je me sens  attiré en direction de ta personne. D'ailleurs c'est dans la seconde  qui suit que tes doigts se mêlent à mes cheveux, je peux sentir ton  souffle se cogner contre ma tempe et l'une de tes phalanges caresser la  cicatrice qui se trouve sur ma joue. Quant à moi, je reste interdit,  sans bouger ni parler.

- Will, Will, Will, qu'allons-nous faire de toi ? Henri Laborit a dit  dans son Éloge de la fuite qu'une fois confronté à une épreuve, l'homme  ne dispose que de trois choix. Le premier est de combattre, le deuxième  c'est ne rien faire et enfin le troisième, c'est fuir. Alors combats  tes démons Will, fais-le avec moi. Dors, je reste là.

Un simple « merci » s'échappe de mes lèvres avant que je ne m'accorde  le fait de fermer les yeux. Je ne sais pas pourquoi ni comment tu  arrives à avoir ce pouvoir sur moi, encore aujourd'hui. Je sais  simplement que j'ai besoin de toi, comme tu as besoin de moi. Et c'est  en restant contre toi, que je m'autorise à m'endormir, en ayant la  certitude qu'un jour, je te retrouverai, toi, le célèbre Hannibal  Lecter.

Inside your veinsWhere stories live. Discover now