Au vu de ses sourcils levés, il semble surpris de mon départ.

— Oui il est tard, et je..., je me racle la gorge pour me donner plus d'assurance, ... je vais prendre un taxi.

— Monsieur est au courant ?

Il regarde derrière moi. Merde, je n'avais pas pensé à ça ! Très mal à l'aise je reprends.

— Oui oui, c'était prévu.

— Il ne m'a pas averti.

Il campe sur ses positions et croise les bras. Il est clair qu'il doute de mes paroles. Normal, il ne veut pas se prendre une soufflante par son patron. Et hors de question qu'il aille le réveiller. Je dois la jouer fine sur ce coup-là. Je baisse les yeux, entrelace mes doigts et lui réponds timidement.

— Je n'avais pas prévu de passer la nuit ici et je n'ai pris aucune affaire de rechange pour demain.

Je le regarde à travers mes cils, il rougit. Bingo ! Il ne cherchera pas à en savoir davantage.

— Très bien Madame. Laissez-moi vous raccompagner. Monsieur le souhaiterait.

Je le remercie et le suis jusqu'à la voiture. Surtout que j'ai agi sur un coup de sang et que je n'ai aucun numéro de taxi. Il me facilite la tâche après tout.

Le trajet se fait en silence dans les rues de New York. Elles débordent de vie en cette nuit d'été. Des troupeaux de jeunes s'agglutinent devant les portes des discothèques, formant une queue impressionnante devant les entrées. Les terrasses des cafés sont pleines à craquer et on peut y voir une clientèle très variée. Ça va du couple discret de retraités installé en retrait jusqu'aux punks expressifs qui arborent des tenues trouées et négligées. Des jeunes filles déambulent en se tenant l'une l'autre pour garder l'équilibre. La diversité de cette ville me surprendra toujours.

La voiture à l'arrêt, je remercie une nouvelle fois l'agent de sécurité, reconverti en chauffeur pour l'occasion.

— Je vous attends.

Remerde ! Il doit penser que je retourne chez Josh après avoir récupéré quelques affaires de rechange. Mon cerveau turbine à plein régime en quête d'une échappatoire.

— En fait, je lui ai laissé un petit mot lui disant que je l'attends chez moi.

Il me regarde d'un air suspicieux. Il ne me croit visiblement pas. Je continue avec toute l'arrogance dont Josh se sert en temps normal.

— Eh bien oui, vu que je rentrais en taxi, je n'allais pas en plus faire le chemin inverse. Je n'avais pas pensé à vous sinon je l'aurais rejoint, ça c'est sûr.

— Mais je suis là et je peux vous reconduire.

On peut dire qu'il est tenace. Je baille exagérément et plus bruyamment qu'à l'accoutumé.

— Ça aurait été avec joie, mais je suis épuisée et si je retourne auprès de Monsieur Bennett, je sais que je ne suis pas prête de dormir.

Mes joues doivent être cramoisies devant cet étalage, mais je n'ai pas le choix. Il faut que je me débarrasse de lui. Et mon stratagème a l'air de fonctionner. Il évite mon regard avant de me saluer une dernière fois et de repartir. Je soupire de soulagement en passant enfin la porte de l'immeuble.

Une fois dans mon appartement je m'adosse à la porte, les yeux clos, et souffle un bon coup. Quelle nuit ! Je regarde l'horloge sur le mur en face de moi. Il est deux heures du matin, et je suis debout, chez moi, en robe de soirée et hauts talons. L'ironie de la situation m'explose au visage et je pars dans un rire interminable. Je me revois chez Josh, le dîner qu'il avait préparé de ses mains, le slow, notre première fois ratée, ses mots tendres, moi contre lui, mon départ précipité. En y réfléchissant bien il n'y a pas de quoi rire, pourtant il m'est impossible d'arrêter. J'en ai les larmes aux yeux. Mais très vite, la culpabilité et la douleur viennent remplacer l'hilarité. Je tombe à genoux sur le sol froid. Peu m'importe. Je colle mes mains contre ma bouche et ne retiens plus les hoquets qui s'en échappent. Qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi suis-je aussi stupide ? Je suis la seule fautive de ce désastre. Jamais je n'aurais dû quitter mon pays. Il n'y a rien de bon ici pour moi à part de nouvelles souffrances. Je m'essuie négligemment le nez et les yeux avec mon bras. Je redresse la tête et observe l'appartement que j'habite depuis plus de cinq mois. Rien n'a changé depuis mon emménagement. Ah si, l'étagère est maintenant remplie d'albums souvenirs de mes enfants. Oh mes amours ! Je n'ai pas le courage d'affronter leurs regards joyeux sur les photos, pas ce soir. Je suis épuisée. Je me relève et prends la direction de ma chambre. Il tarde de me coucher. En passant, mon regard s'arrête sur le programme télé posé sur la table basse. En couverture, mon acteur préféré avec pour titre « Une journée avec Joshua Bennett ». J'examine chacun des traits de son si doux visage. De ses cheveux couleur geais rabattus vers l'arrière jusqu'à ses yeux marron brillant. Sans oublier ses lèvres fines et ses pommettes saillantes. Après ce soir, je ne pourrai l'admirer qu'à travers les journaux. Jamais plus je ne pourrai me retrouver en face de lui. Et je suis sûre qu'il ne le voudra plus d'ailleurs. Je m'empare du magazine et le lance de toutes mes forces à travers la pièce. Je fais de même avec les coussins qui ornent mon canapé. L'un d'eux atterrit contre ma tasse posée sur le plan de travail de la cuisine et la fait valser jusqu'au sol où elle explose en de nombreux morceaux éparses. Le bruit du choc me ramène à la réalité. Il ne me sert à rien de saccager cet appartement. Il n'est pour rien dans le désastre de ma misérable vie, et de plus il n'est pas à moi. Rien ne m'appartient ici. Je pourrais partir demain, personne ne s'apercevrait de mon passage ici. Je renifle un bon coup et cours jusqu'à mon ordinateur. Je regarde rapidement sur internet les départs pour Paris. C'est pas possible ! Les miracles existent en fin de compte. Un vol est prévu dans moins de deux heures ! Je fais un rapide calcul de tête. C'est jouable ! Je prends le numéro d'une station de taxis et les appelle pour que l'on vienne me chercher au plus vite. Ensuite, je me change avant de préparer ma valise. J'hésite à emporter la robe que j'avais sur le dos il y a quelques minutes. Et puis zut, c'est peut-être le seul vêtement de luxe que j'aurai de toute ma vie. Et c'est le seul objet matériel qui me retient à Josh. Je l'embarque donc avec mes autres habits, ainsi que mes chaussures. Un petit tour dans la salle de bains et ma trousse de toilette est bouclée. Dans le salon, je m'empare de l'ordinateur, de mes cadres et de mes albums photo, et du peu qui m'appartient encore dans cette pièce. Je ramasse précipitamment les débris au sol et remets les coussins en place. Par contre, je ne touche pas au programme télé qui gît toujours à mes pieds. Je détourne les yeux de son image et me dirige vers la porte en reprenant mes biens au passage.

LIFE : Survivre (tome 1)Where stories live. Discover now